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donné le jour et qui m’a élevé. N’est-il pas juste de dire que ces calamités me sont envoyées par une divinité cruelle ? Ne souffrez pas, justes dieux, ne souffrez pas que je voie un pareil jour, mais que je disparaisse du nombre des mortels, avant de voir le malheur m’imprimer une telle souillure[1] !

LE CHŒUR.

O roi, nous partageons tes craintes ; mais jusqu’à ce que celui qui va venir, ait éclairci tes doutes, conserve l’espoir.

ŒDIPE.

Oui, tout ce qui me reste encore d’espoir repose uniquement sur ce berger que j’attends.

JOCASTE.

Et lorsqu’il sera venu, quelle est ton espérance ?

ŒDIPE.

Je vais te le dire : si son langage se trouve d’accord avec le tien, j’échappe à toute imputation.

JOCASTE.

Qu’as-tu donc entendu dans mes paroles qui ait tant d’importance ?

ŒDIPE.

Il assure, dis-tu, que des brigands ont massacré Laïus. Si donc il persiste à dire qu’ils étaient plusieurs, je ne suis point le meurtrier ; car on ne saurait prendre un seul homme pour une troupe. Mais s’il ne parle que d’un voyageur isolé, évidemment c’est moi qui suis l’auteur du crime.

JOCASTE.

Oui, c’est ainsi qu’il a raconté le fait, sache-le bien, et il ne saurait rétracter ses paroles : la ville, en effet, les a entendues, et non pas moi. Mais dût-il s’écarter de son premier récit, jamais il ne prouvera, ô roi, que tu sois, conformément à l’oracle, le meurtrier de Laïus,

  1. Euripide n’a pas prétendu rivaliser avec ce récit de Sophocle. Seulement, dans l’exposition des Phéniciennes, il a prêté à Jocaste un exposé court, mais vif et rapide des faits qui sont ici beaucoup plus développés.