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ŒDIPE.

Sais-tu ce que tu demandes ?

LE CHŒUR.

Oui, je le sais.

ŒDIPE.

Explique donc ce que tu prétends.

LE CHŒUR.

De ne pas déshonorer par une accusation fondée sur d’obscurs soupçons un ami qui s’est voué à tes imprécations[1].

ŒDIPE.

Sache donc que me faire cette demande, c’est me demander ma mort ou mon exil de ce pays.

LE CHŒUR.

(Strophe 2.) Non, j’en atteste le soleil, le premier de tous les dieux ! que je périsse abandonné des dieux[2] et des hommes, si j’ai cette pensée. Mais, hélas ! ce qui déchire mon cœur, c’est la ruine de la patrie, c’est de voir vos querelles s’ajouter aux malheurs publics.

ŒDIPE.

Eh bien, qu’il parle, dussé-je périr misérablement, ou être violemment banni de cette ville, et méprisé de tous. Car ce sont vos prières, et non les siennes, qui me touchent de pitié ; pour lui, en quelque lieu qu’il soit, il me sera toujours odieux.

CRÉON.

Tout en cédant, tu te montres implacable ; mais tu te haïras toi-même, quand ta colère sera calmée. De pareils caractères trouvent en eux-mêmes leur juste châtiment.

ŒDIPE.

Que tardes-tu à me laisser et à partir ?

  1. Tout à l’heure Créon vient d’appeler sur lui-même les imprécations d’Œdipe, s’il est coupable. — Έν αὶτἱα βαλεῖν, mettre en accusation, expression qui se retrouve dans les Trachiniennes, v. 940 ; et dans Platon, lettre VII.
  2. ῎Αθεος. Voir plus haut la note sur le vers 254.