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pense, tu devins notre libérateur. Aujourd’hui encore, Œdipe, toi dont tous révèrent la puissance, nous venons en suppliants te conjurer de trouver quelque remède à nos maux, soit qu’un Dieu t’éclaire de ses oracles, ou un homme de ses avis ; car, je le vois, les conseils des hommes expérimentés ont toujours le plus de succès. Viens, ô le meilleur des mortels, relever cette ville abattue ; allons, veille sur nous, car c’est toi qu’aujourd’hui cette cité appelle son Sauveur, pour tes services passés. Puisse ton règne ne jamais nous rappeler qu’après avoir été sauvés par toi, tu nous as laissés retomber dans l’abîme ! Rends-nous donc la sécurité, et relève cette ville abattue. Ces heureux auspices sous lesquels tu rétablis alors notre fortune, ne les démens pas aujourd’hui. Car si tu dois continuer à gouverner ce pays, mieux vaut régner sur des citoyens que sur un pays vide d’habitants. Qu’est-ce en effet qu’une forteresse sans soldats, et un navire sans matelots ?

ŒDIPE.

Enfants bien dignes de pitié, je ne connais que trop le vœu qui vous amène ; oui, je le sais, vous souffrez tous, et, dans cette commune souffrance, aucun de vous ne souffre autant que moi. Car chacun de vous ne ressent que sa propre douleur, et non celle des autres ; mais mon cœur pleure tout ensemble les maux de Thèbes, les vôtres et les miens. Aussi n’avez-vous pas eu à éveiller ma vigilance endormie[1] ? mais sachez que j’ai déjà versé bien des larmes, et mon esprit inquiet a tenté plus d’une voie de salut. Le seul remède que la réflexion m’a découvert, je l’ai mis en œuvre : le fils de Ménécée, Créon, mon beau-frère, est allé, par mon ordre, au temple de Delphes, demander au dieu par quels vœux ou par quels sacrifices je pourrais sauver cette ville. Déjà je calcule le temps écoulé depuis son départ, et je m’inquiète de son

  1. ῎Υπνῳ εὕδοντά. Virgile, Énéide, I, v. 680, a dit aussi :
    Hunc ego sopitum somno.