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lon toute apparence, avoir trait aux affaires publiques d’Athènes. Le Chœur, qui représentait le peuple, avertit ici les Athéniens, que sans la piété et le respect des lois divines, il n’y a pas de salut pour l’État. Dans l’opinion de Musgrave, tous ces traits sont dirigés contre Alcibiade. Ainsi le vers 861, « l’outrage (c’est-à-dire la violation des lois) enfante le tyran, » s’appliquerait à lui, et l’on trouve dans sa vie, par Plutarque, un passage qui est comme le commentaire de ce mot de Sophocle : « Les grands redoutaient et supportaient avec impatience et avec dégoût son insolence et son mépris des lois, comme tyranniques et monstrueux. » — On connaît le fait de la mutilation des Hermès, et d’autres excès qui rendirent Alcibiade odieux, et le firent soupçonner d’aspirer à la tyrannie. Dans la deuxième strophe de ce chœur, presque chaque mot s’appliquerait à lui : qui fut en effet plus outrageux dans ses actes comme dans ses paroles ? quel plus grand contempteur de la justice ? qui fut plus livré aux voluptés sensuelles ? qui a plus que lui profané les images des dieux ? et plus loin (v. 1505), à la fin de la pièce, ce serait encore lui qu’on accuserait d’être jaloux des citoyens, car alors, selon Plutarque (c. XIV), il était jaloux de Nicias. Mais si réellement toutes ces allusions tombent sur Alcibiade, la représentation de l’Œdipe Roi aurait été beaucoup plus récente, puisque le fait de la mutilation des Hermès, et l’accusation de sacrilège portée contre Alcibiade sont de la deuxième année de la quatre-vingt-onzième olympiade, ou 415 ans avant notre ère, et Sophocle aurait été octogénaire lorsqu’il composa cette pièce.

Enfin, Hermann pense que l’Œdipe Roi doit avoir été donné après la Médèe d’Euripide, c’est-à-dire après la deuxième année de la quatre-vingt-septième olympiade, ou 431 ans avant notre ère ; et voici sur quoi il le conjecture : selon Athénée (l. X, p. 453), Euripide avait imité dans les chœurs de sa Médée un certain Callias ; et après lui, Sophocle, dans son Œdipe, imita de ce Callias l’élision d’une voyelle à la fin du vers ïambique : cette licence s’y trouve au moins cinq fois (v. 20, 332, 785, 1184, 1224) ; et dans toutes les pièces de Sophocle antérieures à l’Œdipe, elle ne se trouve pas. Entre toutes ces suppositions, quelle que soit celle qu’on adopte, il en résultera toujours que Sophocle avait au moins soixante-quatre ans, et peut-être plus de quatre-vingts, lorsqu’il fit jouer cette tragédie.