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sion, afin qu’il obtienne un tombeau sur la terre de sa patrie. Tels sont les faits que j’avais à te dire, récit douloureux, sans doute ; mais, pour ceux qui en furent témoins comme nous, spectacle le plus triste que je vis jamais !

LE CHŒUR.

Hélas ! hélas ! toute la race antique de nos maîtres est donc, je le vois, détruite jusque dans sa racine !

CLYTEMNESTRE.

Ô Jupiter ! que penser de cette nouvelle ? Dois-je l’appeler heureuse, ou déplorable, mais utile ? Il est bien triste de ne conserver ma vie qu’au prix de mes propres malheurs !

LE GOUVERNEUR.

Ô femme, pourquoi te contrister ainsi de cette nouvelle ?


CLYTEMNESTRE.

La maternité est une chose étrange[1] ; car, quels que soient leurs torts, une mère ne peut haïr ses enfants.

LE GOUVERNEUR.

Nous avons donc fait, à ce qu’il semble, un voyage inutile.

CLYTEMNESTRE.

Non, il n’est pas inutile. Car comment pourrais-tu l’appeler ainsi, puisque tu m’apportes des preuves certaines de la mort de celui qui, oubliant les entrailles dont il était sorti, s’est dérobé à mes soins[2], pour vivre sur une terre étrangère, en exilé, et, une fois parti de ce pays, ne m’a plus revue, et qui, m’accusant du meurtre

  1. Euripide dit de même, dans Iphigénie à Aulis, v. 9 17 :
    Δεινόν τὸ τίκτειν ;
    et dans les Phéniciennes, v. 358-9 :
    Δεινὸν γυναιξὶν αἱ δι᾽ ὠδίνων γοναί.
  2. Le texte ajoute : « à mes mamelles. » Mais en admettant qu’Oreste fût encore à la mamelle lors du meurtre d’Agamemnon, comme il ne s’était passé que sept ans depuis cette époque, il n’aurait pas été capable d’entreprendre la vengeance de son père.