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Je crains les maux que peut enfanter son silence.

ŒDIPE.
Que m’importe ! avant tout je veux de ma naissance

Connaître le mystère et d’où j’ai pu sortir ?
De la reine l’orgueil va sans doute en souffrir,
Mais quand je ne serais qu’un fils de la Fortune[1],
Devrais-je la traiter en marâtre importune,
Elle dont si souvent la propice faveur[2]
Sur ma vie a jeté tant d’éclat, de bonheur !
La Fortune est ma mère ? Oh ! oui les Destinées[3]
Pour proches m’ont donné les Mois et les Années.
Oui, né ce que je suis, on ne me verra pas[4],
Ignorer ma naissance, hélas ! jusqu’au trépas !

LE CHŒUR[5].

Dans l’avenir si je sais lire[6],
Et si je puis prédire
La vérité,

  1. Horace a employé cette expression Fortunœ filius (sat. II, 6). Plutarque fait mention de ce passage, de Romanorum fortuna.
  2. Elle qui m’a été propice. Cette glorification de son sort, dans la bouche d’Œdipe, a quelque chose de saisissant. Il rapporte son origine, non à la mauvaise, mais à la bonne fortune.
  3. Œdipe, voulant exprimer que c’est le hasard et le temps qui l’ont élevé à son haut rang, nomme la Fortune sa mère et les Mois ses proches, ses frères.
  4. Une telle naissance (étant né tel, né ce que je suis) dont j’ai même droit de m’enorgueillir, me laisse croire que je n’aurai jamais lieu de ne pas vouloir connaître ma naissance ou rechercher ma véritable extraction, reculer devant l’examen de mon origine.
    Brumoy dit : « Ma naissance ne changera pas, quand je cesserais de l’examiner. » Ce sens est analogue à celui de Dacier, le plus fin et le plus naturel. Il a été suivi par Orsatto et par Boivin.
  5. « Le chœur, dit Patin dans ses Étude tragiques, ce personnage à double caractère, comme le peuple qu’il représente, dont la voix est tantôt la voix de Dieu, et tantôt aussi l’expression des passions et des faiblesses du vulgaire, le chœur entre avec une flatteuse complaisance dans les sentiments de l’orgueilleux roi de Thèbes, se demandant de quelle nymphe, de quel Dieu il va se trouver l’enfant. C’est le sujet de strophes gracieuses habilement placées ici, et pour rendre plus vraisemblables les préoccupations d’Œdipe en les montrant partagées par d’autres, et pour séparer par un moment de repos deux scènes de dessein et d’effet à peu près pareils. »
  6. Si toutefois je suis devin. La prévention favorable du chœur pour le prince, se réveille par la confiance d’Œdipe même, et cette ivresse momentanée fait une belle suspension à tout ce qu’on peut déjà pressentir et entrevoir d’horreur. Cette strophe et cette antistrophe montrent que le chœur s’avance et parle en corps.