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JOCASTE.
Eh bien, il va venir !

Mais dois-tu me cacher ce qui te fait gémir ?
Suis-je indigne, seigneur, de cette confidence ?

ŒDIPE.
Que pourrais-je te taire ? En toi ma confiance

Est sans bornes, tu sais. Dans mon cruel malheur,
Toi seule es mon espoir, mon appui le meilleur.
La ville de Corinthe a vu naître mon père,
Il se nomme Polybe, et Mérope, ma mère,
Est Dorienne. J’étais le premier citoyen,
Avant qu’un sort fatal me ravît le vrai bien,
En blessant mon honneur. Ivre, un homme eut l’audace,
Au milieu d’un festin, de me jeter en face
Ces mots : — Non, tu n’es point le légitime enfant
De la reine et du roi ! — À cet affront sanglant,
J’eus peine à concentrer ma trop juste colère,
Mais je laissai passer cette journée entière...
Le lendemain, je vis les auteurs de mes jours
Et contre l’agresseur réclamai leurs secours.
Ils entrent en fureur au récit de l’outrage
Qui m’avait été fait : leur discours me soulage ;
Mais toujours cet affront me déchirait le cœur.
Je vais à Delphe et là le plus affreux malheur
M’est prédit par l’oracle : — Un sort inévitable
Doit me faire enfanter une race exécrable,
Dit-il, je dois un jour, de mon père assassin,
À ma mère m’unir par un fatal hymen.
À peine on m’a prédit un destin si contraire,
Que je fuis de Corinthe, afin de m’y soustraire ;
Je me mets à l’instant en marche vers des lieux