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TIRÉSIAS.
Mais parlerai-je encor pour combler tes fureurs ?


ŒDIPE.
Dis, parle, ne crains rien ; tes discours pleins d’horreurs

Montreront encor plus la noirceur de ton âme.

TIRÉSIAS.
Eh ! bien, sans le savoir, le nœud le plus infâme

Dans un abîme affreux t’a plongé pour toujours.

ŒDIPE.
Penses-tu t’applaudir longtemps de tels discours ?


TIRÉSIAS.
Je n’appréhende rien : la vérité me guide.


ŒDIPE.
Ton esprit aveuglé, ton cœur faux et perfide

Pourraient-ils seuls du sort renfermer le secret ?

TIRÉSIAS.
Du courroux général tu vas être l’objet,

Et tu payeras ainsi tant de sanglants outrages.

ŒDIPE.
Ah ! si tes yeux n’étaient couverts d’épais nuages,

Si tu pouvais blesser un adversaire, ah ! crois
Que tu m’insulterais pour la dernière fois !

TIRÉSIAS.
Sache que le destin, par un décret suprême,

Veut te voir succomber sous Apollon lui-même[1] !

ŒDIPE.
De Créon ou de toi ces discours imposteurs

Viennent-ils ?

  1. Il est de toute impossibilité parfois de rendre littéralement le texte de Sophocle. Il y a ici, par exemple : Apollon est suffisant, pour : est seul mon garant ; seul il s’est réservé le soin d’accomplir ces choses, c’est-à-dire de te punir. Rochefort a adopté la correction admise par Brunck et qui lui a paru seule capable de donner quelque sens à la réponse de Tirésias et à ce qu’Œdipe vient de dire. Brumoy traduit : « Mon sort n’est pas entre vos mains ; Apollon est mon garant ; il aura soin de mes jours. » Ce sens, qui lui parait simple et vrai, n’est pas plus exact que celui du traducteur italien,
    Orsatto Giustiniano :
    {{g|Il possente Apollo oura|4}
    Havra della mia vita

    Il ne vaut pas mieux que celui de J. Camerarius : « Apollon aura soin de terminer mon sort. » Tirésias, il est vrai, selon Pausanias , mourut en allant à Delphes, après avoir bu de l’eau d’une fontaine ; mais cette circonstance ne justifie point ce sens. Les termes grecs ne permettent pas cette explication : ils ne disent pas même ce que le commentateur fait dire à Tirésias. Ce devin veut donner à entendre qu’Apollon lui a révélé le lieu, le temps et le genre de sa mort, à lui Œdipe, qui vient de dire que Tirésias ne saurait le blesser : Ce n’est pas moi, dit-il, mais Apollon qui accomplira ton destin.