est parfait, autant que peuvent l’être les œuvres des humains.
L’exposition d’Œdipe est tout entière en spectacle et en action ; l’ouverture en est majestueuse, imposante, pathétique, vraiment esthétique, digne en un mot des pinceaux de Raphaël ou de Rubens ; l’une et l’autre sont aussi heureuses que théâtrales. C’est un mérite de la plus haute importance dans une tragédie, d’attacher d’abord les yeux, la curiosité, la pitié, l’imagination. Ce mérite a été porté par Sophocle au plus haut degré ; Æschyle ne lui en avait guère fourni de modèle, et Euripide ne l’a point imité.
Malgré l’harmonie et la richesse admirables des vers, le charme et la douceur, le pathétique entraînant du style, les beautés incontestables et sans nombre, la sublimité même du chef-d’œuvre de Sophocle, on peut faire à son Œdipe des reproches assez graves. D’abord, la nature du sujet a quelque chose d’odieux, puisque l’innocence y est la victime des dieux et de la fatalité. Le cœur est serré douloureusement par l’horreur qu’inspire cette complication de crimes involontaires commis par l’innocence, ce poids de la fatalité qui écrase un homme qui n’est pas réellement criminel. Un défaut plus grave encore, c’est la querelle d’Œdipe avec Créon, épisode pour ainsi dire de remplissage, sans intérêt bien réel et sans motif véritable, si l’on veut être rigoriste. Cette querelle, qui n’est guère fondée, ou qui l’est assez mal, devient plus impardonnable par l’accusation que lance Œdipe avec tant de légèreté contre Créon, qui aurait suborné le devin Tirésias, afin que celui—ci accusât le roi. Œdipe y tient un langage et une conduite qu’on doit improuver dans un monarque qui se respecte, dans cet Œdipe, dont le nom est dans la bouche de tous les hommes, comme il l’a dit au commencement du premier acte. Il accuse et condamne Créon avec une témérité inexcusable. Jocaste, pour laquelle Œdipe a tant d’égards, n’obtient de son époux qu’avec la plus grande peine, de ne pas sévir contre un prince innocent, malgré l’insuffisance complète de sa justification. Cet incident, ne produisant d’ailleurs que bien peu d’effet dramatique, est vicieux dans une pièce si belle et si éminemment tragique, car il n’y occupe une place qu’au détriment et aux dépens de l’action principale. Au reste, cette action est en elle—même extrêmement simple dans la tragédie de Sophocle.
Un autre défaut réel et assez grave, mais inhérent au sujet et nécessaire, c’est-à-dire, sans lequel le sujet ne peut subsister et qui est la source de tout le merveilleux de la pièce, c’est le silence absolu gardé entre Jocaste et Œdipe, pendant quatre ans, sur la mort de