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DIRCÉ.
Il s’est rendu par là maître de tout son sort,

Mais achève, Dymas, le récit de sa mort,
Achève d’accabler une âne désolée.

DYMAS.
Il n’est point mort, madame, et la sienne ébranlée

Par les confus remords d’un innocent forfait…

DIRCÉ.
Que nous disais-tu donc ?


DIRCÉ.
Ce que j’ose encor dire,

Qu’il vit et ne vit plus, qu’il est mort et respire,
Et que son sort douteux qui seul reste à pleurer
Des morts et des vivants semble le séparer.
J’étais auprès de lui sans aucunes alarmes,
Son cœur semblait calmé, je le voyais sans armes,
Quand soudain attachant ses deux mains sur ses yeux :
« Prévenons, a-t-il dit, l’injustice des Dieux,
Commençons à mourir avant qu’ils nous l’ordonnent,
Qu’ainsi que mes forfaits, mes supplices étonnent.
Ne voyons plus le ciel après sa cruauté,
Pour nous venger de lui dédaignons sa clarté ;
Refusons lui nos yeux, et gardons quelque vie
Qui montre encore à tous quelle est sa tyrannie. »
La, ses yeux arrachés par ses barbares mains
Font distiller un sang qui rend l’âme aux Thébains.
Ce sang si précieux touche à peine la terre,
Que le courroux du ciel ne leur fait plus la guerre,
Et trois mourants guéris au milieu du palais,
De sa part tout d’un coup nous annoncent la paix.



IMITATIONS DE VOLTAIRE.
ACTE I. — SCÈNE I.

Un monstre furieux vint ravager ces bords.
Le ciel, industrieux dans sa triste vengeance,
Avait à le former épuisé sa puissance.
Né parmi des rochers, au pied du Cithéron,
Ce monstre à voix humaine, aigle, femme et lion,
De la nature entière exécrable assemblage,
Unissait contre nous l’artifice à la rage.
Il n’était qu’un moyen d’en préserver ces lieux.
D’un sens embarrassé dans des mots captieux,
Le monstre, chaque jour, dans Thèbe épouvantée,
Proposait une énigme avec art concertée,
Et si quelque mortel voulait nous secourir,
Il devait voir le monstre, et l’entendre ou périr.
À cette loi terrible il nous fallut souscrire.
D’une commune voix Thèbe offrit son empire
À l’heureux interprète inspiré par les Dieux
Qui nous dévoilerait ce sens mystérieux.
Nos sages, nos vieillards, séduits par l’espérance,
Osèrent, sur la foi d’une vaine science,