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NÉRINE.
Oui, Phorbas par son récit funeste

Et par son propre exemple a su l’assassiner ;
Ce malheureux vieillard n’a pu se pardonner,
Il s’est jeté d’abord aux genoux de la reine :
Où détestant l’effet de sa prudence vaine :
« Si j’ai sauvé ce fils pour être votre époux
Et voir le roi son père expirer sous ses coups,
A-t-il dit, la pitié qui me fit le ministre
De tout ce que le ciel eut pour vous de sinistre,
Fait place au désespoir d’avoir si mal servi,
Pour venger sur mon sang votre ordre mal suivi.
L’inceste où malgré vous tous deux je vous abîme
Recevra de ma main sa première victime,
J’en dois le sacrifice a l’innocente erreur
Qui vous rend l’un pour l’autre un objet plein d’horreur. »
Cet arrêt qu’à nos yeux lui-même il se prononce
Est suivi d’un poignard qu’en ses flancs il enfonce.
La reine, à ce malheur si peu prémédité,
Semble le recevoir avec stupidité.
L’excès de sa douleur la fait croire insensible,
Rien n’échappe au dehors qui la rende visible,
Et tous ses sentiments enfermés dans son cœur
Ramassent en secret leur dernière vigueur.
Nous autres cependant autour d’elle rangées,
Stupides ainsi qu’elle, ainsi qu’elle affligées,
Nous n’osons rien permettre à nos fiers déplaisirs,
Et nos pleurs par respect attendent ses soupirs !
Mais enfin tout à coup sans changer de visage
Du mort qu’elle contemple elle imite la rage,
Se saisit du poignard, et de sa propre main
À nos yeux comme lui s’en traverse le sein :
On dirait que du ciel l’implacable colère
Nous arrête le bras pour lui laisser tout faire.


SCÈNE XII[1].
THÉSÉE, DIRCÉ, NÉRINE, CLÉANTE, DYMAS.
DIRCÉ.
Avez-vous vu le roi, Dymas ?


DYMAS.
Hélas ! princesse,

On ne doit qu’à son sang la publique allégresse.
Ce n’est plus que pour lui qu’il faut verser des pleurs,
Ses crimes inconnus avaient fait nos malheurs,
Et sa vertu souillée à peine s’est punie,
Qu’aussitôt de ces lieux la peste s’est bannie.

THÉSÉE.
L’effort de son courage a su nous éblouir ;

D’un si grand désespoir il cherchait à jouir,
Et de sa fermeté n’empruntait les miracles,
Que pour mieux éviter toute sorte d’obstacles,

  1. SOPHOCLE, A. V. γὰρ εἰσέπαισεν Οἰδίπους — SOPHOCLE, IV, vers 956, Οὗτος δὲ τίς ποτ´ ἐστί… SÉN. Corinthius te populus…