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DYMAS.
Aucune.


ŒDIPE.
Quoi ! les Dieux sont muets !


DYMAS.
Ils sont muets et sourds :

Nous avons par trois fois imploré leur secours,
Par trois fois redoublé nos vœux et nos offrandes,
Ils n’ont pas daigné même écouter nos demandes.
À peine parlions-nous, qu’un murmure confus
Sortant du fond de l’antre expliquait leur refus,
Et cent voix tout à coup sans être articulées,
Dans une nuit subite a nos soupirs mêlées,
Faisaient avec horreur soudain connaitre à tous
Qu’ils n’avaient plus ni d’yeux, ni d’oreilles pour nous.

ŒDIPE.
Ah ! madame !


JOCASTE.
Ah ! seigneur, que marque un tel silence ?


ŒDIPE.
Que pourrait-il marquer qu’une juste vengeance ?

Les Dieux, qui tôt ou tard savent se ressentir,
Dédaignent de répondre à qui les fait mentir.
Ce fils dont ils avaient prédit les aventures,
Exposé par votre ordre, a trompé leurs augures ;
Et ce sang innocent, et ces Dieux irrités
Se vengent maintenant de vos impiétés.

JOCASTE.
Devion-nous l’exposer à son destin funeste,

Pour le voir parricide, et pour le voir inceste,
Et des crimes si noirs étouffés au berceau
Auraient-ils su pour moi faire un crime nouveau ?
Non, non, de tant de maux Thèbes n’est assiégée
Que pour la mort du roi que l’on n’a pas vengée.
Son ombre incessamment me frappe encor les yeux,
Je l’entends murmurer a toute heure, en tous lieux,
Et se plaindre en mon cœur de cette ignominie,
Qu’imprime a son grand nom cette mort impunie.

ŒDIPE.
Pourrions-nous en punir des brigands inconnus

Que peut être jamais en ces lieux on n’a vus ?
Si vous m’avez dit vrai, peut-être ai-je moi-même
Sur trois de ces brigands vengé le diadème ;
Au lieu même, au temps même, attaqué seul par trois,
J’en laissai deux sans vie et mis l’autre aux abois.
Mais ne négligeons rien, et du royaume sombre
Faisons par Tirésie évoquer sa grande ombre.
Puisque le ciel se tait, consultons les enfers,
Sachons à qui de nous sont dus les maux soufferts,
Sachons-en s’il se peut la cause et le remède,
Allons tout de ce pas réclamer tous son aide,
J’irai revoir Corinthe avec moins de souci,
Si je laisse plein calme et pleine joie ici[1].

  1. SOPHOCLE II, ἅναξ, ἐμὸν κήδευμα, etc. SÉNÈQUE II, 5, Germane nostræ conjugis.