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EXAMEN DES CINQ ACTES DE L’ŒDIPE DE SÉNÈQUE.

ACTE PREMIER.

Œdipe, accompagné de Jocaste, ouvre la scène par une tirade de 86 vers plus ampoulés que brillants. Pourquoi paraît-il ? On l’ignore. Que dit-il ? Le voici : « Le jour va paraître et éclaircir les désastres de la nuit. » Il a besoin de 5 vers pour cette pensée qui est gâtée a force d’embellissement. Le premier vers : Jàm nocte pulsâ dubius affulsit dice (la lumière encore incertaine vient dissiper les ténèbres) était heureux et digne de la tragédie. Le langage des vers suivants est outré. Puis vient un lieu commun sur la situation des rois, aussi exposés sur le trône, qu’un vaisseau en pleine mer. Par là Œdipe entre en matière et raconte à Jocaste l’oracle qui lui a fait fuir Corinthe. Malgré sa fuite et ses précautions pour ne pas tuer son père ni épouser sa mère, il ne saurait être tranquille. Mille soucis le troublent, sans qu’on sache pourquoi. En effet, il n’est plus à Corinthe, il se peint si vertueux, qu’effrayé de l’oracle il ne se fie pas à lui-même (cuncta expavesco, meque non credo mihi) ; V. 27. Qui croirait qu’un peu après il va s’imaginer que la peste de Thèbes punit un crime prédit qu’il n’a pas consommé ? Il se dit chargé d’exécuter cet affreux oracle d’Apollon, Phœbi reus ; V. 34 ; il a rendu le ciel même coupable (Fecimus cælum nocens) ; V. 36. Il faut être Sénèque pour outrer ainsi la fatalité. Il décrit la peste, non en roi mais en rhéteur. Quelle différence entre la première scène du poète grec et celle du poète latin, même sous le seul point de vue de cette description ! L’une est une belle statue, l’autre un colosse monstrueux. On y trouve cependant, car il faut toujours être juste, des traits sublimes, comme : l’excès de la douleur a séché les larmes (quodque in extremis solet, periere lacrimæ) ; V. 58-59 ; malheureusement ils ne sont pas à leur place. Plus loin, Œdipe, las d’un trône environné de maux, dont il se croit la cause, quoique innocente, veut le quitter et s’enfuir chez ses proches (vel ad parentes profuge jamdudum ocius) ; V. 80. Jocaste l’exhorte philosophiquement à prendre patience et semble lui reprocher son peu de fermeté. Ce qui donne lieu au roi de raconter ses prouesses et de se vanter non sans enflure, de son audace et de ses hauts faits. Enfin, il n’attend plus de ressource que d’Apollon qu’il a fait consulter. Le chœur, ce n’est qu’à la fin de ce chœur qu’il s’agit de Créon, dit ensuite son rôle en très beaux vers qui décrivent la peste, et voilà le premier acte. Cette fréquence de descriptions, comme dans Homère, Thucydide, Virgile, Ovide, Lucrèce, qui ont aussi décrit des pestes, tient au goût de l’époque. Ce défaut ralentit la marche de l’action.

ACTE II.

La vue de Créon trouble d’abord Œdipe, mais avec moins de naturel et de simplicité que dans Sophocle. Après quelques sentences qui s’entre-choquent, Créon parle tout de bon et fait une description fleurie pour énoncer un oracle. Cet oracle est double, et désigne obscurément que le meurtrier de Laïus est un étranger, et que cet étranger est l’époux de sa mère. Œdipe là-dessus lance de suite, dans le style de la Pharsale, des imprécations contre le coupable. Puis, comme par hasard, il s’avise de demander a Créon où s’est commis le crime. Le procédé de Sophocle avait trop peu d’art pour Sénèque.

Tirésias vient avec sa fille Manto pour faire un sacrifice. C’est Apollon qui l’amène sans autre préparation (in tempore ipso sorte phœbed excitus) ; V. 288. Peu importe à l’auteur comment faire entrer ou sortir ses personnages. Cette scène est toute en action et en spectacle. Elle serait peut-être assez belle, si un style guindé ne la gâtait ; elle est de l’invention de Sénèque. Tirésias, pour connaître le criminel, fait faire par sa fille toutes les cérémonies d’un sacrifice pompeux. L’exécution sur le théâtre en serait impossible. Après la prière, on voit la fumée de l’encens, puis les libations d’où l’on tire des augures. On immole des victimes : une génisse et un taureau. La génisse tombe du premier coup. Le taureau craint