Page:Sophocle - Œdipe Roi, trad. Bécart, 1845.djvu/116

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Une telle fureur ?... Je voudrais te parler
T’interroger, te voir... Tout me fait reculer
D’épouvante et d’effroi !...

ŒDIPE.
Destinée inhumaine !

Moi, l’homme du malheur, d’une marche incertaine
Où me traîner ? Où vais-je ? Et dans quels lieux ma voix
Hélas ! gémira-t-elle ? O toi que tant de fois
J’ai maudit, ô destin ! où plongeas-tu ma vie ?

LE CHŒUR.
Dans l’infortune extrême et la plus inouïe !


ŒDIPE.
O nuit où je me vois descendu sans retour !

O nuage éternel qui me ravis le jour !
État cruel, affreux, ténèbres exécrables,
Hélas ! vous punissez des maux irréparables !
Hélas ! cent fois hélas ! que de remords rongeurs
Réveillent à la fois mes maux et mes douleurs,
Plus que l’aiguillon d’or qui m’arracha la vue !

LE CHŒUR.
Par l’excès du malheur ton âme est abattue,...

De plus, tu sens tes maux ; tu te plains justement,
Œdipe, d’être en proie à ce double tourment[1].

ŒDIPE.
Quoi ! mes amis, malgré ma destinée amère,

Vous ne me quittez point, privé de la lumière !
Quoique mes yeux au jour soient à jamais fermés,
Je connais votre voix ; mes enfants bien-aimés,
Votre pitié me touche.

LE CHŒUR.
Ah ! quelle barbarie !

Quel Dieu cruel sur toi dirigea sa furie ?

  1. Sophocle dit : O prince doublement infortuné, et par tes malheurs, et par le sentiment que tu en as !