Mais je ne l’ai point vue à ses derniers moments,
Car Œdipe survint : ses longs gémissements,
Son désespoir, ses cris, sa voix entrecoupée,
Sont d’un homme en délire. Il demande une épée[1],
Il appelle Jocaste, il la cherche des yeux,
La femme qui porta dans ses flancs odieux
Et le père et ses fils ! — Mon épouse, ma mère,...
Je veux la voir, dit-il... — Un Dieu dans sa colère
L’aura conduit vers elle : il pousse un cri fatal,
Il entre en brisant tout ; vers le lit nuptial
Il s’avance... O terreur ! au lien suspendue,
Sa femme inanimée est offerte à sa vue !
À cet horrible aspect, ce prince exaspéré
Rugit[2]... Au même instant le nœud est déchiré ;
Jocaste sur le marbre est étendue à peine
Qu’il détache à l’instant ses ornements de reine ;
Une agrafe est saisie : il s’en crève les yeux,
S’écriant : — Non, jamais, nul spectacle odieux
Ne les souillera plus ! Privés de la lumière,
Non, ils ne verront plus tous ces maux de la terre,
Ni les objets cruels de tant d’affreux tourments !
Qu’ils se ferment plutôt à tous les sentiments ! —
Il dit, redit ces mots et trois fois il soupire !
Il rouvre sa paupière, et ses yeux qu’il déchire
Roulent parmi des pleurs des torrents d’un sang noir.
De la reine et du roi tel fut le désespoir :
De douleurs, de tourments, cet horrible assemblage
D’époux contre nature est l’exécrable ouvrage.
Ainsi, destin fatal ! de leur félicité
Qu’on envia sans doute, hélas ! qu’est-il resté ?
Opprobre, mort, malheurs, désespoir, infamie,
Tout ce qui peut flétrir et dégrader la vie.
Page:Sophocle - Œdipe Roi, trad. Bécart, 1845.djvu/114
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