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le sourcil froncé, la vieille ! elle va nous annoncer quelque nouvelle.

Entre la Nourrice.

La Nourrice. — Mes enfants, ce ne sont pas des maux légers que nous a causés le présent envoyé à Héraclès.

Le Coryphée. — Que viens-tu encore, vieille, nous apprendre ?

La Nourrice. — Déjanire a fait, sans remuer les pieds, le dernier de tous ses voyages[1].

Le Coryphée. — Est-ce qu’elle serait morte ?

La Nourrice. — Je t’ai tout dit.

Le Coryphée. — Elle n’est plus, la malheureuse ?

La Nourrice. — Je te le répète pour la seconde fois.

Rapide, agité.

Le Coryphée.Ah ! l’infortunée victime ! de quelle manière dis-tu qu’elle a succombé ?

La Nourrice.D’une façon atroce.

Le Coryphée.Dis-nous, femme, quelle a été sa fin.

La Nourrice.Elle s’est suicidée.

Le Coryphée.Quel désespoir, quelle folie lui a donné la mort avec la pointe d’une arme maudite ? Comment à un trépas est-elle arrivée à en ajouter, toute seule, encore un autre ?

La Nourrice.Avec le tranchant d’un fer funeste.

Le Coryphée.Malheureuse, as-tu assisté à cet acte de désespoir ?

La Nourrice.J’y ai assisté. J’étais à ses côtés.

  1. On jugera, sans doute, qu’il y a des antithèses moins déplacées. Sophocle, qui a beaucoup aimé les oppositions d’idées, les a multipliées dans son œuvre, et toutes ne nous plaisent pas également. Celle-ci a la brutalité expressive du parler populaire. Cette Nourrice, la même que celle du début, v. 49-60, était fort attachée à sa maîtresse ; sa mort inopinée la remplit d’une douleur farouche : de là son attitude, quand elle entre en scène. Elle parle donc comme le font les personnages subalternes de Sophocle, avec un réalisme qui nous déconcerte. Le chœur, qui ne pensait qu’à Héraclès, surpris par