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blessa jusqu’à un dieu, Chiron[1], et toutes les bêtes qu’elle touche, elle cause leur perte. Par conséquent, ce trait qui a fait tant de victimes, qui est noir de sang, comment ne tuera-t-il pas aussi Héraclès ? Oui, je le sens, il le tuera. Aussi, c’est chose décidée, s’il arrive malheur à ce héros, du même élan je meurs avec lui : vivre chargée d’opprobre est intolérable pour qui s’honore d’être bien née.

Le Coryphée. — Sans doute, on est bien forcé d’avoir peur en face d’actions redoutables ; pourtant il ne faut pas, avant l’événement, renoncer à l’espérance.

Déjanire. — Quand on conçoit de mauvais desseins, on n’a même plus d’espoir qui fasse naître quelque confiance.

Le Coryphée. — Mais contre qui fait erreur, sans le vouloir, la colère s’amollit et tu mérites l’indulgence.

Déjanire. — Ainsi peut parler, non pas le coupable, mais celui qui n’a rien de lourd sur la conscience.

Le Coryphée. — Tu ferais bien de n’en pas dire plus, si tu ne veux pas être entendue de ton fils : il était parti à la recherche de son père, le voici revenu.

Entre précipitamment Hyllos.

Hyllos. — Ah ! ma mère, que je voudrais qu’une de ces trois choses se fût réalisée pour toi, ou que tu ne sois plus vivante, ou que, vivante, tu sois appelée la mère d’un autre, ou que tu aies de meilleurs sentiments que ceux dont tu es actuellement animée !

Déjanire. — Quelle raison t’ai-je donnée, mon fils, de me tant exécrer ?

Hyllos. — Ton propre mari, mon père à moi, sache-le, tu l’as tué aujourd’hui même.

Déjanire. — Ah ! Qu’annonces-tu là, mon enfant ?


    reconnaît elle-même, mais alors elle n’avait aucun soupçon, et le prodige menaçant ne s’était pas accompli.

  1. Apollodore raconte II, 5, 4, que lorsque les Centaures poursuivis par Héraclès s’étaient réfugiés sur le Pélion, dans la grotte de Chiron, celui-ci fut par mégarde atteint d’une flèche que lançait Héraclès. Comme il ne pouvait pas mourir, puisqu’il était dieu, comme il