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Entre Déjanire, bouleversée.

Déjanire. — Femmes, que je crains d’avoir été trop loin en tout ce que je viens de faire !

Le Coryphée. — Déjanire, fille d’Œnée[1], qu’y a-t-il ?

Déjanire. — Je ne sais pas, mais j’ai peur qu’on ne voie bientôt qu’avec une bonne intention j’ai causé un grand malheur.

Le Coryphée. — Ce n’est pas à propos de tes présents à Héraclès ?

Déjanire. — Mais si, aussi je ne conseillerais jamais à personne d’entreprendre rien avec empressement[2], quand le résultat est incertain.

Le Coryphée. — Instruis-moi, si cela est possible, de la cause de ta crainte.

Déjanire. — La chose s’est passée de telle façon que, si je vous la raconte, femmes, elle vous paraîtra prodigieuse, incroyable. Ce qui m’a servi tout à l’heure à oindre le blanc péplos de fête, le flocon de laine pris à la toison d’une brebis, cela, sans que personne du palais y ait touché, a disparu, s’est consumé tout seul, s’est dissous sur la pierre du sol. Pour que tu saches bien comment cela s’est passé, je m’expliquerai plus longuement. Toutes les instructions que le monstrueux Centaure me donna, quand une flèche aigüe lui perçait le flanc, je n’en ai rien omis, je les gardais en moi, comme une inscription qu’on ne peut effacer d’une tablette d’airain. Voici ce qui m’était prescrit et que j’ai accompli exactement. Ce philtre, sans l’approcher du feu, sans qu’il fût jamais touché par un chaud rayon, je

  1. Le coryphée, en ajoutant au nom de la reine celui de son père, ne cherche pas à préciser la personnalité de Déjanire, ce qui serait parfaitement inutile ; il tient seulement, en la voyant angoissée, à lui marquer sa sympathie : c’est une forme d’expression que nous n’avons plus. On compare Ajax 331, Antig. 1098.
  2. Allusion à ce qui s’est passé, v. 587 sq., entre Déjanire et le coryphée. Les paroles de la reine ne sont pas un remerciement : on se retourne aisément contre celui qui a donné un conseil, si ce conseil a des suites regrettables.