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une femme sensée de s’emporter ; or, comment il peut être remédié à mon malheur, mes amies, c’est ce que je vais vous dire. Je gardais depuis longtemps un présent que m’avait autrefois donné l’antique Centaure et je le tenais enfermé dans un vase d’airain. Quand j étais encore toute jeune, je le reçus de Nessos, le monstre à la poitrine velue, au moment où il périt frappé à mort. Il faisait dans ses bras passer aux voyageurs, contre salaire, les eaux profondes de l’Événos, sans s’aider de rames conductrices, ni de voiles marines. Sur l’ordre paternel, quand je suivais pour la première fois Héraclès, en qualité d’épouse, Nessos qui me portait sur ses épaules, au moment où j’étais au milieu du fleuve, porte sur moi des mains insolentes ; je poussai un cri ; aussitôt le fils de Zeus se retourne, lance une flèche empennée ; jusqu’aux poumons elle entra en sifflant dans sa poitrine[1]. Expirant, le monstre n’eut que le temps de me dire : « Fille du vieil Œnée, écoute quel profit tu retireras, si tu suis mes conseils, puisque tu es la dernière que j’aurai transportée : si de ma mortelle blessure tu recueilles le sang coagulé, à la partie de la flèche où l’hydre de Lerne l’a imprégnée de son noir venin, ce te sera un philtre pour l’esprit d’Héraclès et pour empêcher ce héros de te préférer jamais aucune rivale ». J’ai pensé à ce philtre, mes amies, car après la mort de Nessos je


    peut pas être celui de la phrase écrite, ὀφθαλμός, parce que la métaphore est incohérente ; pour les anciens, c’était autre chose : ils substituaient, sans y penser, au sujet grammatical, le sujet logique, c’est-à-dire ici ἀνήρ. Et cette substitution leur était d’autant plus aisée qu’ils disaient couramment : ἐκτος κλαυμάτων ἔχειν πόδα. dans le sens de κλαυμάτων ἀπέχεσθαι. Cf. Philoct. 1260. Voir la note de Tournier sur ce dernier vers.

  1. D’après Dion (or. 60) des critiques anciens blâmaient Sophocle d’avoir ainsi arrangé les choses. Héraclès, prétendaient-ils, lançait trop vite sa flèche. Frapper Nessos pendant qu’il avait Déjanire sur les épaules était chose fort risquée : Héraclès pouvait tuer sa femme. Ces critiques étaient vraiment bien circonspects. Héraclès ne réfléchit pas ; il traverse le fleuve, il entend crier Déjanire, il se retourne, il comprend ce qui se passe, il tire. Cette imprudence lui fait honneur : il aimait alors sa femme. Y avait-il d’ailleurs imprudence ?