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toujours en ses victoires. Ses triomphes sur les dieux, je les laisse de côté et je ne raconte pas comment elle séduisit le fils de Cronos, ni Hadès, dieu de la nuit, ni Poséidôn qui ébranle la terre[1], mais pour posséder Déjanire, quels vigoureux adversaires, la veille des noces, descendirent dans l’arène, quels furent ceux qui, au milieu des coups, de la poussière, affrontèrent les épreuves de la lutte ?

L’un était un fleuve puissant, sous la forme d’un taureau aux hautes cornes, aux quatre pieds : c’était l’Achélôos du pays des Œniades ; l’autre venu de Thèbes, consacrée à Bacchos, brandissait un arc flexible, deux lances, une massue : c’était le fils de Zeus. Tous deux ensemble ils se ruèrent l’un contre l’autre ; le désir les enflammait. Et, seule, Cypris, qui favorise les unions heureuses, présidait à la lutte au milieu de l’arène.

Vif, heurté.

Alors ce fut un bruit de coups, de flèches, de cornes de taureau qui s’entremêlent, ce furent des corps à corps, des crocs-en-jambe, ce furent des chocs redoutables de fronts l’un contre l’autre ; les deux rivaux haletaient. Et elle, la vierge si belle à regarder, si tendre, sur un tertre d’où la vue s’étendait au loin elle s’était assise, attendant celui qui la

  1. Zeus, Hadès, Poséidôn sont tous les trois fils de Kronos, mais parce que Zeus est l’aîné et le plus puissant, il porte seul le titre de Κρονίδης. C’est ainsi qu’Agamemnon est appelé Atride de préférenceà Ménélas. (Cf. Ajax, 1349 ; Phil. 1376 sq.) — Qu’Aphrodite ait souvent séduit Zeus, les Limiers de Sophocle nous en donnent une preuve inattendue, puisque, retrouvés par hasard, ils mettent justement en scène des faits qui résultèrent d’une de ces séductions. De son côté, Poséidôn était aussi peu fidèle à Amphitrite que son frère aîné l’était à Héra et Sophocle dans sa Tyro exposait comment Pélias et Nélée étaient nés des amours de Poséidôn avec la femme dont sa pièce porte le nom. Quant à Hadès, s’il était plus réservé par nature, il avait cependant enlevé à Démèter sa fille Perséphone et la légende plaçait ce rapt tout près du dème où était né Sophocle. Les Grecs de l’antiquité n’ont pas, en effet, regardé la chasteté comme une vertu,