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Déjanire. — En quelle contrée ? en Grèce, en pays barbare ? Parle.

Lichas. — Sur le rivage de l’Eubée, où il consacre des autels à Zeus de Kénæon[1] et lui offre des fruits.

Déjanire. — Acquitte-t-il un vœu ? Est-ce en exécution d’un oracle ?

Lichas. — C’est à cause d’un vœu, lorsqu’il prenait et détruisait avec sa lance le pays de ces femmes que tu as devant les yeux.

Déjanire. — Mais elles, au nom des dieux, quel est leur maître ? Qui sont-elles ? Elles méritent la pitié, si leurs malheurs ne m’abusent pas.

Lichas. — Héraclès les a prises, après avoir détruit la ville d’Eurytos : c’est un butin qu’il a mis à part pour lui et pour les dieux.

Déjanire. — A-t-il vraiment séjourné autour de cette ville ce temps infini, ces jours innombrables ?

Lichas. — Non, mais la plus grande partie de ce temps il a été retenu en Lydie. Et il n’était pas libre, comme il l’avoue lui-même, il avait été acheté par autrui. Gardonsnous, femme, de le blâmer d’une infortune dont il est clair que Zeus est l’auteur. Vendu à une barbare, à Omphale, il passa d’après son propre aveu une année chez elle, et il fut si blessé de cet affront, qu’il se jura à lui-même de réduire un jour en esclavage, avec sa femme et sa descendance, l’auteur de cet opprobre. Et sa parole ne fut pas vainc. Dès qu’il fut purifié, il prend une armée étrangère, il marche contre la cité d’Eurytos. Il prétendait que, seul entre tous les hommes, celui-ci était l’auteur de sa honte.

  1. Le cap Κήναιον, aujourd’hui cap Lithada, était à l’extrémité septentrionale de l’Eubée, en face du golfe maliaque. Zeus (cf. Eschyle, fragm. 30) y était adoré. Le culte du dieu remontait à une haute antiquité, puisqu’à l’époque homérique (cf. Il. II, 538) une ville y portait déjà son nom. Après la prise d’Œchalie — qu’Hécatée de Milet (cf. Pausanias, IV, 2, 3) plaçait dans le territoire d’Erétrie, au centre de l’île, — Héraclès remonte vers le nord, et avant de quitter l’Eubée, il élève à Zeus des autels, ou plutôt il trace (ὀρίζεται) unτέμενος qu’il consacre à son père.