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Polynice. — Et ne me retiens pas[1]. Au contraire, j’aurai à cœur de parcourir ma route, qui va m’être pernicieuse et fatale, à cause de mon père et de ses Érinyes. Pour vous, que Zeus vous soit propice, si vous accomplissez après ma mort ce que j’ai demandé, car pendant ma vie vous n’aurez plus rien à faire pour moi. Laissez-moi m’en aller : adieu. Vous ne me reverrez plus vivant.

Antigone. — Ah ! Que je souffre !

Polynice. — Ne gémis pas sur moi.

Antigone. — Tu cours à une mort certaine ; qui ne se lamenterait pas sur toi, mon frère ?

Polynice. — S’il le faut, je mourrai.

Antigone. — Mais non, cède à mes conseils.

Polynice. — Ne me conseille point ce qu’il ne faut pas.

Antigone. — Je serai malheureuse, si je suis privée de toi.

Polynice. — Il dépend de la divinité que cela tourne bien ou mal[2]. Aussi je prie les dieux pour que vous ne vous heurtiez jamais contre l’adversité, car aux yeux de tous vous ne méritez pas de souffrir.

Il sort.
Vif et animé.

Le Chœur[3].Encore de nouvelles, d’accablantes infortunes ; elles viennent de l’étranger aveugle, à moins que le Destin n’intervienne. Jamais, en effet, les décrets des dieux

  1. Peut-être Antigone s’attachait-elle à lui : le scholiaste suggère ce geste. Il ne serait pas déplacé à la fin de cette scène douloureuse. Elle ne sait guère raisonner avec son frère, mais elle l’aime de tout son cœur. Elle n’a donc pour le défendre contre lui-même que sa tendre affection.
  2. Il est évident pour tous les spectateurs que la chose tournera mal et que Polynice ne tardera pas à succomber, mais sa dernière parole est une parole de consolation pour sa sœur, qu’il ne veut pas laisser dans le désespoir.
  3. Le cinquième épisode de cette tragédie, v. 1249-1555, — car puisqu’elle a quatre stasima, elle n’a pas moins, si on la partage comme une pièce moderne, de six actes, — est divisé en deux parties par ce thrène, qui par exception nous a été conservé intact. L’effet qu’a