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permis, ton visage. Mais que dis-je là ? Comment, misérable comme je le suis, pourrais-je vouloir que ta main touche un homme entaché de toutes les souillures[1] ? Non, je ne le veux pas ; bien plus, je m’y refuse. Ceux qui sont accoutumés à mes malheurs peuvent seuls entre les êtres humains les partager. De l’endroit où tu es reçois mes vœux et continue équitablement d’être mon protecteur, comme tu l’as été jusqu’à ce jour.

Thésée. — Que tu aies parlé longuement, dans la joie de retrouver tes enfants, je n’en suis pas surpris, ni que tu aies préféré leurs paroles aux miennes. Je ne m’en offense aucunement : ce n’est pas avec des mots que j’ai à cœur d’illustrer ma vie, c’est avec des actes. Et je le prouve : je ne t’ai menti en aucun de mes serments, vieillard. Je suis devant toi, je t’amène vivantes ces jeunes filles, que les menaces de Créon n’ont pas atteintes. Comment a été gagné le combat ? A quoi bon t’en faire inutilement un récit pompeux ? Tu l’apprendras tout seul de tes filles en vivant avec elles[2]. Cependant une nouvelle qui m’est arrivée à mon retour ici mérite la réflexion. La chose sera bientôt dite, mais elle vaut qu’on s’en étonne. Or, personne ne doit rien négliger.

Œdipe. — Qu’y a-t-il, fils d’Égée ? Instruis-m’en : j’ignore tout de ce que tu as appris.

Thésée. — On dit qu’un inconnu, un homme qui n’est pas de ta cité mais de ta race, s’est prosterné en suppliant près de l’autel de Poséidon, où j’étais en train justement de sacrifier, quand je me suis élancé ici.

  1. Quand Œdipe se révoltait contre les exécrations dont le chargeait le coryphée, il prétendait v. 287 sq., qu’il était sacré, innocent et qu’il apportait un grand bienfait aux Athéniens. Maintenant il reconnaît que les accusations formulées contre lui par Créon, v. 944 sqq., étaient légitimes et qu’il est un être impur. Dans le premier cas son intérêt seul était en jeu, dans le second il s’agit de celui de Thésée : sa reconnaissance à l’égard du roi, pour lequel il pourrait être une cause de malheur, le force à changer de langage.
  2. Nouveau prétexte (cf. p. 169, note 1) pour supprimer un récit qui n’est pas indispensable, surtout après la description imaginaire