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alors ce présent, lorsque le bienfait n’en serait plus un, n’éprouverais-tu pas un plaisir insipide ? Voilà pourtant l’offre que tu me fais : en paroles, elle est excellente ; en réalité, elle ne vaut rien. — (Aux choreutes.) Je vais aussi parler à ceux-ci, afin de révéler ta perfidie. Tu es venu m’emmener, non pour me conduire dans mon palais, mais pour me reléguer dans le voisinage et pour que Thèbes soit délivrée des maux dont ce pays peut la menacer. Tes efforts sont inutiles et voici ce qui t’attend : là-bas, mon génie vengeur habitera toujours parmi vous et mes fils n’obtiendront de la terre où j’ai régné que ce qu’il leur en faut pour y mourir. Ne suis-je pas mieux instruit que toi des affaires de Thèbes[1] ? Je les sais d’autant mieux que mes garants sont plus véridiques, Phœbos et Zeus lui-même, qui est père de Phœbos[2]. Tu es arrivé ici avec une bouche mensongère, ta langue est bien affilée, mais tes paroles te feront plus de mal que de bien. Allons, car je sais que sur aucun point je ne te persuade, va-l-en et laisse-nous vivre en ce pays : même dans la situation où nous sommes, nous ne saurions être malheureux, si notre existence nous plaît.

Créon. — Crois-tu qu’un échec me fasse plus de tort qu’à toi-même, dans le débat actuel ?

Œdipe. — Je suis ravi que lu ne puisses convaincre ni moi, ni ceux qui m’entourent.

Créon. — Infortuné, le temps ne t’apprendra donc jamais la raison, et tu seras un déshonneur pour la vieillesse ?

Œdipe. — Tu as la langue bien pendue, mais je ne connais aucun homme juste qui parle bien surtout sujet.


    le reconnaît elle-même Ismène, v. 407 — deviennent maîtres de sa personne, ils placeront sa sépulture sur la limite de leur pays, évitant ainsi toute souillure et s’assurant sa protection. C’est ce qui ne se réalisera jamais.

  1. Il les sait par Ismène, qui lui a annoncé v. 896 sqq., l’arrivée prochaine de Créon et le but que celui-ci chercherait à atteindre dans sa mission.
  2. On a déjà rencontré plus haut, v. 628, la même assimilation. Apollon seul a parlé, mais son père est garant de sa parole. Les oracles de Loxias étaient souvent regardés comme procédant de Zeus