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LES TRACHINIENNES


A Trachis, en Thessalie, devant le palais de Céyx, où habite Héraclès.

Déjanire. — C’est un dicton depuis longtemps formulé chez les hommes[1], qu’on ne peut savoir de personne, avant sa mort, si la vie lui a été bonne ou mauvaise, mais moi, la mienne, même avant d’aller chez Hadès, je sais qu’elle n’est que malheur et accablement. Lorsque j’habitais encore à Pleuron dans la maison d’Œnée, mon père, j’eus à redouter douloureusement l’hymen, plus qu’aucune femme d’Étolie. Mon prétendant était un fleuve, l’Achélôos ; sous trois formes il me demandait à mon père : tantôt c’était un taureau véritable, tantôt un dragon sinueux aux changeants replis, tantôt il avait un corps viril avec une tête de bœuf et de son menton barbu jaillissaient des sources d’eau vive. Avec un tel prétendant, infortunée, sans cesse je souhaitais de mourir, avant d’avoir jamais approché de sa couche. Dans le temps qui suivit, à ma grande joie, vint l’illustre fils de Zeus et d’Alcmène. Il entra en lutte avec lui et me délivra. Comment eut lieu le combat, je ne saurais le dire, je

  1. Ce dicton, chacun le sait, est de Solon. (Cf. Hérodote, I, 32.) Il sert de conclusion à l'Œdipe-Roi 1528 sqq., et on le retrouve souvent ailleurs. Cf. Soph. fragm. 588 ; Esch. Agam. 928 sq. Eurip. Androm.100 sqq., Héraclides 865 sq., Troyennes, 509 sq., Iph. à Aul. 161 sq.
    — Le scholiaste prétend qu’il y a ici un anachronisme et que Sophocle n’a pas le droit de s’inspirer de Solon, puisque ce dernier est postérieur (μετγενέστερος) à Déjanire. Mais au XVIIe siècle notre Balzac a eu raison de répondre au scholiaste, comme l’a rappelé Boissonade, que « quoyque Solon fust postérieur à Déjanire, néantmoins Déjanire n’était pas si ancienne que le sens commun, qui est le premier auteur des sentences véritables. » C’est ainsi qu’Ajax cite v. 678 sqq., une maxime attribuée à Bias.