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dans mes mains vigoureuses[1] : imprévues, hypocrites, les paroles d’un esprit perfide m’ont abusé ; puissé-je le voir, celui qui a machiné ce piège, condamné à souffrir aussi longtemps que moi[2] !

Un peu plus vif.

Le Chœur.C’est la volonté, oui, la volonté des dieux qui t’a ainsi maîtrisé : ce n’est pas une ruse préparée par ma main[3]. Réserve pour d’autres ta redoutable, ta fatale malédiction : je n’ai à cœur qu’une chose, c’est que tu ne rejettes pas mon amitié.

Passionné.

Philoctète.Hélas ! hélas ! et assis en quelque coin du blanchissant rivage, il rit de moi, tandis qu’il brandit dans sa main l’arme qui me nourrissait en mon malheur, l’arme que personne n’a jamais tenue[4]. O cher arc[5], toi que de force on a arraché de ma main, sûrement avec pitié tu vois, si tu as quelque sentiment, le malheureux compagnon d’Héraclès qui ne se servira plus de toi désormais ; tu as passé dans les mains d’un homme qui connaît toutes les fourberies, tu es manié par lui et tu es le témoin des trahisons honteuses d’un

  1. La perte de son arc entraînera sa mort, puisqu’il ne pourra plus se procurer le gibier nécessaire à sa subsistance. Cf. 287 sqq., 710 sqq.
  2. Il s’agit d’Ulysse. Il ne peut rien contre lui, il se contente de le maudire, en lui souhaitant, de même qu’à ceux qui l’ont perdu, de succomber sous les mêmes maux que les siens. Cf. 791 sqq., 1035 sq.
  3. Le chœur qui fait cause commune avec Ulysse, se sentant soupçonné de perfidie, attribue à la divinité qui conduit tout, les malheurs de Philoctète. Il n’y a dans ses paroles aucune hypocrisie, puisque Néoptolème, quand personne ne l’accusait, raisonne exactement de la même manière. Cf. 191 sqq.
  4. Philoctète commence une nouvelle strophe, sans paraître avoir entendu le couplet du coryphée, parce qu’il ne veut pas y répondre. Cf. 1146 sqq.
  5. Il interpelle son arc comme si cet arc pouvait le comprendre, de même qu’il a interpellé les golfes, les promontoires, les bêtes sauvages, les rochers abrupts, (936 sqq.) la terre de Lemnos, le feu