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Quel est ce regret qui leur est venu ? Est-ce à cause de la force, de la vengeance des dieux, qui punissent les actes coupables ?

Le Marchand. — Je vais te raconter tout cela, car sans doute tu l’ignores. Il y avait un devin de noble race, il était fils de Priam, on l’appelait Hélénos[1]. La nuit, sorti seul, l’homme qui mérite tous les noms injurieux et outrageants, le rusé Ulysse le captura : il l’enchaîna, le conduisit et le montra aux Achéens dans l’assemblée : c’était une belle prise. Entre autres choses qu’il leur annonça, celui-ci leur dit que la citadelle qui domine Troie, jamais ils ne la ravageraient, si par la persuasion ils ne ramenaient Philoctète de cette île-ci, où maintenant il habite. Et ces paroles, dès que le fils de Laërte eut entendu le devin les dire, aussitôt il promit qu’il emmènerait et montrerait cet homme-là aux Achéens. Il pensait bien, ajoutait-il, qu’il y arriverait après l’avoir pris sans contrainte, mais, s’il ne voulait pas, ce serait malgré lui. S’il échouait, il donnerait sa tête à couper à qui voudrait. Tu sais tout, mon enfant : te hâter, voilà ce que je te conseille à toi-même, et s’il y a quelqu’un à qui tu t’intéresses.

Philoctète. — Malheureux que je suis ! Ce misérable, cet homme qui n’est que crime, a donc juré qu’il me ramènerait par la persuasion chez les Achéens ? On me décidera tout aussi bien après ma mort à remonter de chez Hadès vers la lumière, comme l’a fait son père.

Le Marchand. — Je ne sais ce dont tu parles. Je retourne vers mon vaisseau ; vous, que la divinité vous donne sa meilleure aide.

Il sort.

Philoctète. — N’est-il pas révoltant, mon enfant, que le fils de Laërte ait espéré par de douces paroles me

  1. Cet Hélénos est dans l’Iliade un devin guerrier, comme l’Amphiaraos des Sept, 568 sqq. Sur sa capture, racontée dans la Petite Iliade, et sur sa prédiction, complétée plus loin, v. 1337 sqq., cf. Notice, p. 71.