Page:Sophocle (tradcution Masqueray), Tome 2.djvu/168

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Philoctète. — Et dis-moi, au nom des dieux, où était alors Patrocle, l’être que ton père aimait tant[1] ?

Néoptolème. — Lui aussi, il était mort. En quelques mots je t’expliquerai tout : la guerre ne prend qu’à regret les méchants, et les gens de bien, elle ne les épargne jamais[2].

Philoctète. — J’en conviens avec toi, et d’après cela je veux te questionner sur un être méprisable, qui était un habile et rusé discoureur, que devient-il ?

Néoptolème. — De qui veux-tu parler, sinon d’Ulysse ?

Philoctète. — Ce n’est pas lui que je dis, mais il y avait un certain Thersite, qui parlait toujours, quand personne ne voulait l’entendre : celui-là, sais-tu s’il est encore envie ?

Néoptolème. — Je ne l’ai pas vu, mais j’ai entendu dire qu’il existait encore.

Philoctète. — C’était fatal : aucun être vil n’a jamais succombé, au contraire, les dieux entourent ces gens-là de leur protection, et même, je ne sais comment, les pervers, les fourbes, ils se plaisent à les ramener de l'Hadès[3], tandis qu’ils y précipitent sans arrêt les êtres justes et vertueux. Que faut-il penser de cela ? Comment l’approuver, lorsqu’en voulant louer les actes des dieux, je trouve les dieux injustes ?

Néoptolème. — Pour moi, fils d’un père qui habite l'Œta, à partir d’aujourd’hui, c’est de loin que j’aurai soin de voir Ilion et les Atrides, et ceux chez qui l’injustice a plus de force que le bien[4], la vertu succombe, la lâcheté triomphe, ces gens-là, je ne les aimerai jamais, mais Scyros et ses pierres me suffiront dorénavant et je me


    une vie somptueuse. Après la mort d’Antiloque il lui restait encore six autres fils. Od. III, 412 sqq.

  1. Anachronisme. Cf. vol. I, p. VI.
  2. Nous sommes en 409. — Cf. vol. I, p. IX.
  3. Allusion au prétendu père d’Ulysse. (Cf. Ajax 190, Phil. 417.) Sur le point de mourir, raconte le scholiaste, v. 625, Sisyphe avait recommandé à sa femme de ne pas l’ensevelir. En face d’Hadès, il se plaignit de la négligence de cette dernière, demandant au dieu de remonter à la lumière, afin de la châtier. Et il ne revint plus.
  4. Justification de son retour à Scyros. Il reste bien entendu que les