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la vie qu’il mène, languit seul, loin de tout compagnon, au milieu des bêtes tachetées, des bêtes velues ; ses tortures, une faim qui l’épuise causent à ce malheureux d’incurables angoisses et l’écho, qui ne reste jamais bouche close, répète au loin sa plainte perçante.

Mélodrame.

Néoptolème. — Rien de tout cela ne me surprend : divines, en effet, si je ne me trompe, sont les souffrances que lui infligea la vindicative Chrysé, et maintenant les maux qu’il supporte, sans personne pour les soigner, lui ont été sûrement envoyés par la volonté de quelqu’un des dieux, pour qu’il ne bandât pas contre Troie l’arc invincible d’Apollon, avant que fût arrivé le temps où il faut, dit-on, que la ville soit vaincue par ses flèches.

On entend au loin crier quelqu’un[1].
Irrégulier, inquiet.

Le Chœur.Fais silence, mon fils.

Néoptolème.Qu’y a-t-il ?

Le Chœur.Un bruit a retenti : on dirait la plainte habituelle de quelqu’un qui souffre. — (Il prête l’oreille.) C’est ici, par là, quelque part. J’entends, oui, j’entends nettement la voix de quelqu’un qui marche avec peine : sourd,

  1. Toute cette parodos, on le voit, n’est qu’une longue préparation de l’entrée en scène du protagoniste. Il faut emmener Philoctète à Troie : voilà le but à atteindre. Le chœur veut d’abord savoir de son maître quel rôle lui incombe en cette affaire délicate. Il aurait bien pu le lui demander plus tôt, mais nous sommes au théâtre où nous n’entendons parler les gens que lorsqu’ils s’adressent à nous. Quand le public est bien renseigné sur le caractère de Philoctète, son genre de vie, la mission que les dieux lui réservent, subitement, c’est-à-dire au moment où le poète a concentré toute l’attention des spectateurs sur lui, on l’entend crier et ses cris, par un artifice bien connu, grandissent à mesure qu’il approche ; enfin, il apparaît. — Sophocle savait son métier mieux que personne.