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aie ce courage. Aie pitié de moi, comme en a pitié la foule : je crie et me lamente, comme une jeune fille. Et cela personne ne pourrait affirmer me l’avoir jamais vu faire ; sans un gémissement, toujours je suivais ma destinée douloureuse. Mais aujourd’hui, d’insensible que j’étais, me voici devenu une femme, hélas ! Et maintenant, viens, approche-toi de ton père, contemple les tourments que j’endure, car je vais te les montrer, sans voiles. (A Hyllos, aux choreutes, aux spectateurs[1]) Vois, regardez ce corps misérable ; voyez ma souffrance, l’état pitoyable où je suis. Hélas ! infortuné, hélas ! un spasme déchirant vient encore de me brûler, il m’a percé les flancs ; il ne veut pas, sans doute, me laisser un instant de relâche, ce mal affreux qui me dévore. O roi Hadès, reçois-moi ; éclair de Zeus, frappe-moi ; brandis, maître, lance contre moi, père, le trait de ta foudre. Il me mord de nouveau, le mal, il redouble, il est au paroxysme. O mes mains, mes mains, mon dos et ma poitrine, et vous, chers bras, vous avez eu la force de venir à bout naguère de l’habitant de Némée, fléau des bouviers, ce lion formidable dont personne n’approchait, et de l’hydre de Lerne, et de la troupe insociable des Centaures, ces monstres à double nature qui avaient des jambes de cheval, ces êtres insolents, sans lois, si orgueilleux de leur force, et du sanglier d’Érymanthe, et de la bête souterraine, le chien à trois têtes[2] de l’Hadès, rejeton invincible de la redoutable Echidna, et du dragon qui gardait les pommes d’or aux extrémités du monde. J’ai


    logue, le même mot désigne les Satyres. — Ici, Héraclès peut très bien affirmer qu’il a triomphé de la force des Centaures, puisqu’il ne sait pas encore que c’est le sang de Nessos qui le tue.

  1. Il est dit dans la scholie qu’Héraclès s’adressait à ceux qui l’entouraient : il n’est pas défendu de croire qu’il parlait aussi au public. On a déjà rencontré dans l’Ajax une interpellation identique. Cf. vol. I, p. 49, note 2. On en trouvera une autre dans les Limiers, v. 77 sqq.
  2. C’est le nombre ordinaire (cf. Eurip. Héraclès, 1277) mais dans la Théogonie, v. 312, Cerbère a cinquante têtes. Sur les vases attiques à figures noires on se contentait d’en dessiner deux.