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volonté ? Ces choses étaient prédestinées par les Dieux irrités depuis longtemps peut-être contre notre race pour quelque raison. Car, en ce qui me touche, tu ne peux me reprocher aucune flétrissure au sujet de ce que j’ai fait contre moi et les miens. En effet, apprends-moi, si un oracle a répondu à mon père qu’il serait tué par son fils, de quel droit tu me blâmes de ce meurtre, lorsque je n’étais encore ni engendré par mon père, ni conçu par ma mère, ni mis au monde. Si, comme il est avéré, j’en suis venu aux mains avec mon père et l’ai tué, ne sachant ni ce que je faisais, ni contre qui, comment peux-tu me reprocher cette action comme un crime ? Et tu n’as point honte, misérable, de me contraindre de parler de mes noces avec ma mère qui fut ta sœur ! Je dirai donc quelles furent ces noces ; je ne tairai point ceci, puisque tu as prononcé cette parole impie. Certes, elle m’a enfanté ! elle m’a enfanté, — ô malheureux ! — m’ignorant, moi qui l’ignorais ! Et puis, ma propre mère a conçu de moi des enfants, son opprobre ! Mais je suis sûr du moins que tu nous outrages outre mesure, elle et moi, moi qui l’ai épousée contre mon gré et qui en parle de même. Jamais je ne serai tenu pour impie à cause de ces noces, ni à cause du meurtre paternel que tu me reproches perpétuellement et amèrement. En effet, réponds-moi un seul mot : si quelqu’un, survenant tout à coup, voulait te tuer, toi, l’homme juste, chercherais-tu à savoir s’il est ton père celui qui voudrait te tuer, ou te vengerais-tu aussitôt ? Certes, je pense que, si tu aimes la vie, tu te vengerais de ce mauvais et que tu ne te demanderais pas si cela est juste. J’ai été précipité en de tels maux, par la volonté des Dieux, et je pense que mon père ne le nierait pas, s’il revivait. Mais toi, qui n’es pas équitable et crois que toutes choses, bonnes et mauvaises, doivent être dites,