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commencement de la vie, devient une seconde nature. D’où il résulte que nous tenons aussi fermement aux idées dont notre esprit a été imbu dans l’enfance que si elles étaient naturelles et connues par elles-mêmes.

Elle vient encore en partie de ce qu’on ne distingue pas ce qui est connu simplement par soi-même, et ce qui l’est par rapport à nous[1]. En effet, qu’il y ait un Dieu : cela est connu en soi simplement, parce que l’être de Dieu et son essence sont une même chose ; mais en tant que notre esprit ne peut concevoir l’essence de Dieu, il est inconnu par rapport à nous. De même, cette proposition : Le tout est toujours plus grand que sa partie, est connue simplement par elle-même ; mais il faut nécessairement qu’elle reste ignorée de celui qui ne concevrait pas dans son esprit ce que c’est qu’un tout. Et il arrive ainsi que notre esprit est pour les choses les plus connues dans les mêmes conditions que l’œil du hibou relativement au soleil, ainsi qu’il est dit au second livre de la Métaphysique[2].

Il n’est donc pas nécessaire que l’on sache qu’il existe un Dieu ; aussitôt qu’on connaît la signification du mot Dieu, ainsi que le prétendent ceux qui allèguent la première raison. Premièrement, parce

  1. Dicuntur autem priora et notiora duobus modis ; ut enim sunt alia quæ sunt naturæ ordine priora, alia quae nobis, ita plurimum inter se differunt quæ omnino ac per se notiora, et quæ nobis magis nota sunt. Ac nobis quidem ilia priora et notiora appello, quæ nostris sensibus magis objecta sunt ; simpliciter autem ac per se, ea quæ sunt ab iis remotiora. Hujus generis sunt res universe ; illius res singulæ : quæ inter se res contrariæ sunt (Arist. Analytic. Poster. lib. I, c. 2). — Il suit de ce principe que les créatures, qui sont des effets produits par la cause premiere, qui est Dieu, étant a la portée de nos sens (notiores quoad nos), nous pouvons, aidés par elles, arriver a la connaissance de la nature divine, qui est connue en elle-même et par elle-même (nota simpliciter), et que la méthode la plus naturelle pour etablir l’existence de Dieu est la demonstration a posteriori.
  2. Cum difficultas duobus sit modis, fortassis causa ejus non rebus, sed nobis ipsis inest. Quemadmodum enim vespertilionum oculi ad lumen diei se habent, ita et intellectus animiæ nostræ ad ea quæ manifestissima omnium sunt (Arist. Metaphys. lib. II, c. I).