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cesse Léopoldine, qui allait quitter le pays pour se marier avec le prince de Salzbourg.

— Oui, je me rappelle.

— On avait invité la princesse à prendre place sous le péristyle du palais de la Bourse et à assister de là au défilé des députations de toutes les sociétés du pays qui viendraient la saluer. La cérémonie, favorisée par un temps superbe, fut très imposante. Chaque députation, en passant devant la princesse, lui offrait un bouquet ou une corbeille de fleurs. Au bout d’une demi-heure, l’escalier de la Bourse ressemblait à un immense parterre. Et les cris, et les vivats, et les musiques ! Tenez, moi qui suis un vieux dur à cuire, rien que d’y penser, çà m’émeut encore.

— Vous pleurez, major ?

— Ne faites pas attention. Je reprends mon histoire. Tout autour de la princesse, sous le péristyle du palais, se tenait, entassée, une foule énorme : autorités, fonctionnaires, invités, femmes des autorités, femmes des fonctionnaires, femmes des invités… Tout le diable et son train, — sans compter une douzaine de jeunes filles en blanc, choisies parmi les plus avenantes de la ville pour servir de garde d’honneur à la princesse… Fichtre ! nous n’avons pas de garde d’honneur pareille, nous, au régiment ! C’est dommage…

Le major poussa un profond soupir et poursuivit :

— M. et Mme Durasoir avaient reçu une invitation. Mais, naturellement, mon camarade, retenu par les affaires de sa société, n’avait pu en profiter. Sa femme avait tant supplié qu’il lui avait permis d’aller toute seule à la fête. Aussi bien, pour elle, rien d’inconvenant, n’est-ce pas ? à se trouver en si belle compagnie… Au contraire, Mme Durasoir alla donc toute seule. Bravement, elle s’installa au milieu des groupes et, jouant adroitement des coudes, parvint à se caser très bien, adossée à une colonne, sur le dernier degré de l’escalier, d’où elle voyait admirablement passer le défilé. J’oubliais de vous dire que Gontran, le perfide Gontran, se trouvait, lui aussi, sous le péristyle. Sitôt qu’il avait aperçu sa bien-aimée, il s’était faufilé près d’elle et, prenant, devant le monde qui les entourait, des airs de politesse très respectueux, il la protégeait avec une sollicitude des plus aimables… Le gaillard !… D’ailleurs, je l’avoue, la situation était pleine d’agrément. On était là bousculé, serré l’un contre l’autre. Gontran ne s’en plaignait pas, et Mme Durasoir non plus. Il arriva même un moment où l’enthousiasme des sociétés qui défilaient toujours et des spectateurs qui les