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pour tout monothéiste. Et en effet, on ne trouve rien à redire à ces pensées quand elles sont présentées d’une manière générale, c’est contre leur application à la question nationale qu’on proteste. Le lieu commun se transforme alors tout d’un coup en une rêverie mystique, et l’axiome devient une fantaisie subjective. « Qui a jamais su la pensée de Dieu sur une nation, qui peut parler de devoir à un peuple ? Affirmer sa puissance, poursuivre son intérêt national, voici tout ce qu’un peuple doit faire, et le devoir d’un patriote se réduit à soutenir et à servir son pays dans cette politique nationale sans lui imposer ses idées subjectives. Et pour savoir les vrais intérêts d’une nation et sa mission historique réelle, il n’y a qu’un seul moyen sûr, c’est de demander au peuple lui-même ce qu’il en pense, c’est de consulter l’opinion publique. » Il y a cependant quelque chose d’étrange dans ce jugement en apparence si sensé.

Ce moyen empirique pour apprendre la vérité est absolument impraticable là où l’opinion nationale est partagée, ce qui est presque toujours le cas. Quelle est la vraie opinion publique de la France : celle des catholiques, ou bien celle des francs-maçons ? Et puisque je suis Russe, à laquelle des opinions nationales dois-je sacrifier mes idées subjectives : à celle de la Russie officielle et officieuse, la Russie d’aujourd’hui ; ou bien à celle que professent plusieurs millions de nos vieux croyants, ces vrais représentants de la Russie tradi-