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vraie Église condamnera toujours la doctrine qui affirme qu’il n’y a rien au dessus des intérêts nationaux, ce nouveau paganisme qui fait de la nation sa divinité suprême, ce faux patriotisme qui veut remplacer la religion. L’Église reconnaît les droits des nations en combattant l’égoïsme national, elle respecte le pouvoir de l’État en résistant à son absolutisme.

Les différences nationales doivent subsister jusqu’à la fin des siècles ; les peuples doivent demeurer comme membres réellement distincts de l’organisme universel. Mais cet organisme lui-même doit aussi exister réellement, la grande unité humaine ne doit pas exister seulement comme une puissance occulte ou un être de raison, mais doit s’incarner dans un corps social visible exerçant une action attractive manifeste et permanente pour tenir en échec la multitude des forces centrifuges qui déchirent l’humanité.

Pour atteindre l’idéal de l’unité parfaite il faut s’appuyer sur une unité imparfaite, mais réelle. Avant de se réunir dans la liberté, il faut se réunir dans l’obéissance. Pour s’élever à la fraternité universelle, les nations, les états et les souverains doivent se soumettre d’abord à la filiation universelle en reconnaissant l’autorité morale du père commun. L’oubli des sentiments que les peuples doivent au passé religieux de l’humanité serait de très mauvais augure pour son avenir. Quand on sème l’impiété, ce n’est pas la fraternité qu’on recueille.