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glorieuse et nous a devancé dans sa culture intellectuelle, et qui, aujourd’hui encore, ne nous cède pas en activité scientifique et littéraire. Et quoique dans ces conditions le but définitif de nos russificateurs soit heureusement impossible à atteindre, tout ce qu’on entreprend pour y parvenir n’en est pas moins criminel et malfaisant. Cette russification tyrannique intimement liée à la destruction, plus tyrannique encore, de l’Église grecque-unie, est un vrai péché national, qui pèse sur la conscience de la Russie et paralyse ses forces morales.

On a vu de grandes nations triompher pendant longtemps dans une cause injuste. Mais il paraît que la Providence, par une sollicitude particulière pour le salut de notre âme nationale, s’empresse à nous montrer, avec une évidence parfaite, que la force, même victorieuse, n’est bonne à rien, quand elle n’est pas dirigée par une conscience pure. Notre péché historique a enlevé à notre dernière guerre ses résultats pratiques en même temps que sa valeur morale ; il poursuivit, sur les Balkans, nos aigles victorieux et il les arrêta devant les murs de Constantinople ; en nous ôtant l’assurance et l’élan d’un peuple fidèle à sa mission, ce péché nous imposa, au lieu d’un triomphe acheté par tant d’efforts héroïques, l’humiliation du congrès de Berlin ; et il finit par nous chasser de la Serbie et de la Bulgarie, que nous voulions protéger tout en opprimant la Pologne.