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la prudence, autant de compromis qui rabaissent la dignité de l’Église et lui enlèvent son autorité. Et la cause principale de tout cela, c’est qu’on n’a pas une foi suffisante dans la puissance de la vérité[1].

Tous ces maux de notre Église, — et c’est là le point le plus important, — nous les avons sus et nous les savons, nous nous sommes arrangés avec eux et nous vivons en paix. Mais cette paix honteuse, ces compromis déshonorants ne peuvent pas sauvegarder la paix de l’Église, et dans la cause de la vérité ils signifient une défaite sinon une trahison[2].

S’il faut en croire ses défenseurs, notre Église est un troupeau grand mais infidèle, dont le pasteur est la police qui par force, à coup de fouet, fait entrer dans le bercail les brebis égarées. Une image semblable répond-elle à la vraie idée de l’Église du Christ ? Et si non, notre Église n’est plus l’Église du Christ, et alors qu’est-elle donc ? Une institution d’État qui peut être utile aux intérêts de l’État, à la discipline des mœurs. Mais l’Église, il ne faut pas l’oublier, est un domaine où aucune altération de la base morale ne peut être admise, où aucune infidélité au principe vivifiant ne peut rester impunie, où, si l’on ment, on ne ment pas aux hommes mais à Dieu. Une Église infidèle au testament du Christ est du monde entier le phénomène le plus stérile et le plus anormal condamné d’avance par la parole de Dieu[3].

Une Église qui fait partie d’un État, d’un « royaume de ce monde », a abdiqué sa mission et devra partager la destinée de tous les royaumes de ce monde[4]. Elle n’a plus en elle-même aucune raison d’être, elle se condamne à la débilité et à la mort[5].

La conscience russe n’est pas libre en Russie, et la pensée religieuse reste inerte, l’abomination de la désolation s’établit

  1. Œuvres complètes d’Ivan Aksakov, tome IV, p. 32.
  2. Ibid., p. 43.
  3. Ibid., pp. 91, 92.
  4. Ibid., p. 111.
  5. Ibid., p. 93.