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IV. — Le triomphe de la Raison
et le Matérialisme français du XVIIIe siècle


L’homme qui joua un rôle décisif pour la préparation du grand mouvement d’idées qui devait être le triomphe du rationalisme dans notre pays fut Pierre Bayle. Né en 1647 d’une famille protestante, il fut forcé de se convertir au catholicisme puis il revint à la religion protestante et se réfugia, pour échapper aux persécutions, en Hollande, où il passa le reste de sa vie. Après de violentes polémiques, son enseignement à Rotterdam lui fut retiré et il mourut en 1707.

Dans ses « Pensées diverses écrites à un Docteur de la Sorbonne à l’occasion de la comète qui parut au mois de décembre 1680 », il examine la croyance superstitieuse d’après laquelle le passage d’une comète présage de grandes catastrophes. Il en rapproche tout naturellement les miracles officiels, auxquels croit l’Église, ce qui va lui permettre une critique incisive des miracles, et de la religion. Avec Bayle, la raison ne respectait plus rien : « La raison, dit-il, est le tribunal suprême et qui juge en dernier ressort et sans appel de tout ce qui nous est proposé. » Le voici maintenant qui poursuit sa critique et met en question les rapports entre religion et morale. Comme l’a dit Marx, « il annonça la société athée qui devait commencer bientôt à exister en prouvant qu’une société de purs athées peut exister, que l’athée peut être un honnête homme, que l’homme ne s’abaisse pas par l’athéisme, mais au contraire par la superstition et l’idolâtrie. » II déclarait en effet « qu’une société d’athées pourrait vivre moralement, que l’athéisme ne conduit pas nécessairement à la corruption des mœurs ; que la religion n’est pas un frein capable de retenir nos passions et qu’on peut à la fois être très dévot et très scélérat ». Par là, un coup terrible était porté à la religion.

Mais l’œuvre de Bayle, qui devait avoir une influence essentielle sur son époque, fut son Dictionnaire historique et critique. C’est un ouvrage conçu simplement comme un dictionnaire des erreurs ou plutôt des omissions des dictionnaires alors en usage. Il devait avoir un succès extraordinaire, et l’on raconte qu’en 1715, on faisait la queue pour le lire à la Bibliothèque Mazarine (actuellement la Bibliothèque Nationale), et il fallait arriver longtemps avant l’ouverture des portes. L’influence qu’il devait exercer, on la trouve dans ces paroles de Voltaire vantant « l’immortel Bayle, le premier des dialecticiens et des philosophes sceptiques, l’honneur de la nature humaine, l’auteur du premier Dictionnaire de raisonnement, où l’on puisse apprendre à penser. » Ses articles sont en général courts