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persécuteurs. C’est l’œuvre fondamentale du rationalisme français. Par la suite, Descartes devait encore publier des Méditations philosophiques qui entraînèrent de nombreuses controverses, en particulier avec les théologiens de la Sorbonne, des Principes de la philosophie. Étant entré en correspondance depuis plusieurs années avec la Princesse Élisabeth de Bohême, il devint pour elle un conseiller et ce fut pour lui l’occasion d’écrire un Traité des Passions. Puis la reine Christine de Suède, célèbre alors par toute l’Europe par son intelligence et les succès de sa politique, l’invita de façon pressante à se rendre auprès d’elle. Après beaucoup d’hésitations, il finit par s’y rendre et arriva à Stockholm en plein hiver. La reine Christine lui demanda de lui donner des leçons tous les matins dans sa bibliothèque à cinq heures. Aussi, se rendant un jour à la Cour, prit-il froid : une pneumonie se déclara et, neuf jours après, il mourut, le 11 février 1650.


Le Discours de la Méthode

Dès les premiers mots du Discours de la Méthode s’annonce la négation de la méthode d’autorité et de la scolastique : « Le bon sens est la chose du monde la mieux partagée. » On s’adressera donc à tous les esprits et non aux esprits doctes seulement. Pour cela, le Discours sera écrit en français : « Si j’écris en français, qui est la langue de mon pays, plutôt qu’en latin, qui est celle de mes précepteurs, c’est à cause que j’espère que ceux qui ne se servent que de leur raison naturelle toute pure jugeront mieux de mes opinions que ceux qui ne croient qu’aux livres anciens.» À la manière de Montaigne, Descartes nous montre la marche de son esprit. L’enseignement qu’il a reçu lui a fait voir la diversité des opinions professées par les différents philosophes sur chaque sujet. D’excellents arguments sont fournis de part et d’autre. Comment arriver se faire une opinion ferme ? Descartes avait étudié la géométrie et l’algèbre. Leur caractère rationnel, la rigueur des démonstrations lui semblaient faire un contraste saisissant avec l’état de nos connaissances dans les autres domaines. Il conçut donc l’idée d’une méthode qui permît à l’esprit de marcher de l’avant dans quelque direction que ce fût, avec la même assurance que dans les mathématiques. C’est ce qu’il exprima dans les quatre préceptes suivants qui forment sans doute le texte le plus célèbre de la philosophie française :

« Le premier était de ne recevoir jamais aucune chose pour vraie que je ne la connusse évidemment être telle ; c’est-à-dire d’éviter soigneusement la précipitation et la prévention, et de ne comprendre rien de plus en mes jugements que ce qui se présenterait si clairement et si distinctement à mon esprit que je n’eusse aucune occasion de le mettre en doute.

« Le second, de diviser chacune des difficultés que j’examinais en autant de parcelles qu’il se pourrait et qu’il serait requis pour les mieux résoudre.

« Le troisième, de conduire par ordre mes pensées, en commençant par les objets les plus simples et les plus aisés à connaître, pour monter peu à peu comme par degrés jusques à la connaissance des plus composés, et supposant même de l’ordre entre ceux qui ne se précèdent point naturellement les uns les autres.