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de la façon vraie de donner une œuvre pareille. Il est aujourd’hui prouvé que la musique de Bruckner en général et surtout les symphonies démesurées, V, VIII, et IX, si on la fait suivre selon les intentions du maître par son Te Deum, nécessitent des conditions spéciales et en tous cas méritent comme les symphonies I, II, III et VI de Mahler de remplir chacune pour soi un entier concert. Je laisse de côté l’impression en même temps d’intimité et de chapelle que M. Frenzdorff a créée en dissimulant l’orchestre derrière un rideau sombre et en exigeant l’extinction du lustre, et aussi divers autres détails d’organisation destinés à assurer le confort absolu des auditeurs. Je me permets toutefois d’attirer l’attention sur le fait qu’à œuvres, à salles et à moyens nouveaux, il est juste d’ajouter l’abolition de certaines routines. Du temps de Haydn la Création se donnait à Vienne dans une salle de palais XVIIIe siècle ; les symphonies de Beethoven connurent les petites salles de concert Empire (on dit en Autriche Vieux-Vienne) ; l’orchestre de Glazounow, de Bruckner, de Strauss, de Mahler et de Suk veut d’autres parallélépipèdes de temps et d’espace. Dès lors pourquoi ne lui accorderait-on pas par surcroît tout ce qui assure l’appréciation intégrale des œuvres, tout ce qui aide à procurer le maximum de jouissance esthétique. Même s’il s’agit de s’asseoir à table deux heures au lieu d’une on a soin de différemment ménager son appétit, ses aises et aussi l’ordonnance du repas.

Bref cette symphonie monstre qui n’avait guère dépassé une heure aux mains de M. Schnéevoigt a pris sous la nouvelle direction d’Alfred Westarp, pseudonyme de qui l’on sait, les proportions suivantes. On a commencé à huit heures et quart précises, toutes portes closes, pas une place n’étant imposée debout. Sont restés debout ceux-là seuls qui y tenaient. Le rideau sombre a du moins cet avantage inappréciable d’empêcher l’orchestre de se préoccuper, lui, du public, inconvénient encore pire que la préoccupation de l’orchestre et de son chef de la part du public. Les musiciens ne jouent désormais plus que pour la musique et leur propre satisfaction. Le premier mouvement, d’une telle ampleur passionnément religieuse, religieuse en pleine nature — on pense à du Wagner, à toute la passion de Wagner, déversée dans les interminables frises pompeuses des rubriques de Haendel — s’est alors déroulé avec une lenteur fluviale, dans une atmosphère de délicat demi-ton et de respect