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la ligue en velay

doctrines de nos pères, que ces souvenirs et ces doctrines forment la base de l’éducation, le thème de toutes les controverses, le fond commun de toutes les idées. Pour les intelligences d’élite et les âmes incultes, le point de départ, la règle des opinions consiste dans les manières diverses de sentir ou de juger l’ancien régime. Aux uns, l’ancienne France ne rappelle que troubadours et trouvères, pages et châtelaines, foi vive, mœurs viriles, élans chevaleresques. Les autres voient uniquement dans ces époques tragiques le triomphe de la force, le règne des ténèbres, une longue série de malheurs et d’oppressions où le sens moral et la dignité humaine font absolument défaut. Passe encore si ces avis contradictoires se bornaient à la spéculation ! Mais chez nous on fait bon marché des théories abstraites, et les systèmes historiques se formulent en réalités quotidiennes. Allez au fond de nos luttes actuelles et vous trouverez leur germe dans les jugements que provoquent les réminiscences des institutions disparues en 1789. Le noble pense à la féodalité ; le bourgeois au tiers-état, le paysan aux censives, l’ouvrier aux communes :

Navita de ventis, de tauris narrat arator.

C’est ainsi que chacun se façonne un passé imaginaire et que le courant des idées dérive d’évocations historiques qui surgissent à travers le prisme de la haine ou de l’amour. « Je crois, disait Bastiat, que ce qui nous fait apparaître sous des couleurs si poétiques les temps passés, la tente de l’Arabe, la grotte de l’anachorète, le donjon du châtelain, c’est la distance, c’est l’illusion de l’optique. Nous admirons ce qui tranche sur nos habitudes. La vie du désert nous émeut pendant qu’Abdel-Kader s’extasie sur les merveilles de la civilisation. Croyez-vous qu’il y ait jamais eu autant de poésie dans une des héroïnes de l’antiquité que dans une femme de notre époque ? Que leur esprit fut aussi cultivé, leurs sentiments aussi délicats, qu’elles eussent la même tendresse de cœur, la même grâce de mouvement