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LES RÉPUBLICAINS ET L’ENSEIGNEMENT 1830-1848

un parti d’opposition fait rarement preuve de justice à l’égard du gouvernement, les démocrates insistèrent plus volontiers sur ce qui manquait à cette loi que sur le progrès accompli. La distinction établie entre les payants et les gratuits leur parut dégradante pour les seconds et contraire à l’esprit de 1789[1]. Aussi la création d’un enseignement primaire complet figure-t-elle toujours dans leur programme. Le Journal du Peuple, par exemple, y consacra en 1837 une longue étude ; il se plaignit du cercle vicieux où tournaient les hommes d’État monarchistes, refusant les droits politiques au peuple parce que son éducation était insuffisante, et ne prenant pas les mesures nécessaires pour la compléter ; il insista sur le besoin de réunir dans les mêmes écoles les enfants riches et pauvres, afin de leur apprendre l’égalité[2]. — Si le gouvernement n’ajouta rien à la loi de 1833, c’est que la majorité ne demandait pas davantage ; Guizot avait même devance les désirs des populations françaises, puisque de nombreuses communes, par indifférence ou par avarice, négligeaient d’appliquer la loi. Un journaliste républicain, Babaud-Laribière, rédacteur en chef de l’Indépendant d’Angoulême, signala en 1845 aux démocrates ce lamentable état de choses et leur conseilla d’y remédier autant que possible. Partout, dit-il, où des républicains sont membres des conseils municipaux, ils doivent les pousser à voler les dépenses nécessaires pour l’enseignement. « Que chaque commune soit dotée d’une maison d’école ; les institutions passent bien plus vite dans les mœurs lorsqu’un signe matériel, un édifice, les rattache au sol. Le catholicisme a dû une partie de sa puissance à la construction des églises ». Surtout il convient d’améliorer la situation matérielle et morale du maître d’école, d’en faire légal du prêtre et du juge. « Au fond de nos campagnes, que les démocrates le comprennent bien, l’instituteur primaire est le représentant de la Révolution »[3]. Le journaliste d’Angoulême connaissait bien ces instituteurs, républicains au fond de l’âme, qui allaient acclamer le 24 février 14848 et devenir l’année suivante les victimes de la réaction. Déjà l’un d’eux, Claude Tillier, maître d’école dans

  1. La ville de Paris institua la gratuité pour tous ; en 1846, quand le Conseil municipal pensa, pour des raisons budgétaires, à rétablir deux catégories d’élèves, la presse républicaine protesta vivement. V. National du 15 août 1846.
  2. Numéros des 23 et 30 juillet, du 27 août. Dans les sociétés secrètes ouvrières où quelques fanatiques méditaient le meurtre du tyran, les chefs, pour gagner des adhérents nouveaux, leur promettaient, entre autres choses, des écoles où l’instituteur « prendra autant de soin des enfants du prolétaire comme l’on prend soin de ceux des princes du sang aujourd’hui » (Cour des pairs. Attentat du 13 septembre 1841. p. 12).
  3. Almanach de la France démocratique pour 1846, p. 124 sq (Lc 22 141).