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NÉCROLOGIE

Ces espérances n’ont pas été réalisées, Quelques semaines après le jour où nous lui avions serré la main, il nous a quittés, avant que la plupart d’entre nous eussent même soupçonné le danger qui le menaçait. Nous savons quel vide il laissera derrière lui, et la seule consolation que nous puissions offrir à la veuve et à la fille qui le pleurent, c’est de leur dire, avec une pleine assurance au nom des centaines de jeunes gens auxquels il a donné ses soins, au nom de tous ceux qui, hier encore, étaient ses collègues, que jamais maître n’inspira à ses élèves une confiance plus absolue, que jamais homme ne fut plus estimé, par tous ceux qui étaient associés avec lui à une œuvre commune pour sa rare érudition, pour l’originalité de son esprit, pour la bonté de son cœur, pour sa sincérité profonde et sa parfaite droiture.

Discours de M. Jacob, directeur adjoint à l’École des Hautes Études.

Je prends la parole, au nom de l’École des Hautes Études et de la Société des Humanistes français, au bord de cette tombe ouverte si inopinément, avec une émotion d’autant plus profonde que M. Tournier fut une des grandes affections de ma vice. Je l’avais connu aux conférences de Sainte-Barbe et, comme beaucoup d’autres, je m’étais senti attiré vers lui par la netteté de son esprit, la simplicité et l’affabilité de ses manières, par son apparente réserve même qui était toute à la surface et ne voilait qu’à demi (on s’en apercevait bien vite) une nature ardente, sincère et passionnée, un caractère d’initiateur, ce qu’il fut à l’École des Hautes Études où le fit entrer un des premiers le choix de M. Duruy pour inaugurer un enseignement tout nouveau. Il était en effet désigné depuis plusieurs années à l’attention du monde lettré et de tous ceux qui s’intéressaient au réveil des études philologiques en France par sa thèse, Némésis et la Jalousie des dieux (1863), une des plus remarquables qui aient été soutenues en Sorbonne et par son édition de Sophocle (1867).

C’est le 23 janvier 1869 qu’il fut officiellement nommé répétiteur de philologie grecque dans la nouvelle École ; il entrait en fonctions le 28, à peine âgé de 38 ans, avec un dessein bien arrêté, une vue nette et précise du but qu’il se proposait et une pleine connaissance des moyens nécessaires pour l’atteindre. Ce but, c’était l’enseignement de la critique verbale, auquel il avait préludé, antérieurement mème à son édition de Sophocle, par des Observations sur divers passages de St-Jean Chrysostome où il posait nettement ce principe que la probabilité d’une conjecture peut être supérieure à celle qui résulte de l’unanimité des manuscrits. M. Tournier voulait faire de la section de philologie grecque une école d’éditeurs et, dès sa première conférence, il traça les grands traits de la méthode à suivre lorsqu’on veut faire une édition, dans cette leçon préliminaire, intitulée Exposition des principes de la critique des textes, qui fut comme son discours de la méthode,

L’enseignement inauguré, il fallait l’organiser et, à côté de la critique, donner une place aux sciences accessoires, la paléographie et la grammaire. En attendant qu’il pût trouver parmi ses élèves des collaborateurs imbus de son esprit et disposés à marcher dans sa voie pour le seconder dans l’exécution du plan qu’il avait conçu, M. Tournier n’hésita pus à assumer une lourde tâche et, pendant trois années, outre sa conférence de critique verbale, il en dirigea une seconde de paléographie grecque. Cependant, comme 1l excellait à reconnaître les aptitudes dominantes de ses élèves, il eut bientôt distingue parmi eux M.J. Nicole à qui il confia, dès 1872,la grammaire, la bibliographie et une explication d’auteur ; dans le mème temps, il apprécia les remarquables qualités de Ch. Graux, depuis si prématurément ravi à la science, et le dirigea vers la paléographie dont il lui remit l’enseignement en novembre 1873.

L’année suivante, l’organisation à peine ébauchée paraît un moment compromise. M. Tournier est nommé définitivement au mois de mars maître de