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LE PROBLÈME DE L’ÉDUCATION SECONDAIRE

Moins confuse, plus féconde, la préparation aux études supérieures sera ce qu’elle doit être, si on la ramène à son principe dans quelques établissements choisis, réservés à l’élite des intelligences et des volontés : le français, l’allemand plus nécessaire que l’anglais aux études scientifiques, le grec et le latin, une forte éducation mathématique, l’histoire, la géographie enseignés à des enfants plus âgés à leurs débuts que dans les établissements précédents, de 12 à 18 ans, jusqu’à l’âge où finissaient autrefois les études classiques, de la cinquième actuelle jusqu’à la philosophie où aux mathématiques spéciales. Comme à 16 ans les vocations sont parfaitement dessinées, la bifurcation que proposait M. Croiset après la seconde, vers les lettres (rhétorique, philosophie) ou les sciences (mathématiques spéciales) me paraîtrait excellente.

Pour ces lycées rendus à leur vraie destination, point d’autre titre que celui de la maison même. On a pris l’habitude d’adjoindre à nos institutions le nom d’un patron. C’est la solution. Ni le lycée Voltaire, ni le collège Chaptal ne seront le lycée Louis-le-Grand. La même distinction s’établira d’elle-même dans les provinces quand l’habitude sera prise de connaître le lycée Hoche à Versailles, et le lycée Marceau à Chartres. Point de différence dans les titres, entre les deux ordres de lycées, mais cette différence profonde que les uns conféreront le baccalauréat, les autres non, privilège justifié par le concours qui seul ouvrirait l’accès des premiers.

C’est un grand service, le plus grand peut-être que l’on puisse rendre à cette jeunesse de lui éviter la longue attente, la préparation stérile de concours qu’elle ne passera qu’à vingt ans, d’opérer de bonne heure vers douze ans une sélection. En l’opérant comme aujourd’hui, trop tard, on laisse les moins capables définitivement impropres à d’autres emplois. Ce serait enfin un très grand bienfait que de restreindre la préparation aux études supérieures dans les limites qu’elle doit avoir pour demeurer une préparation vraiment utile.

J’ajoute que c’est là une tendance générale de l’Université. On la croit trop obstinément attachée à des formules d’éducation dont la société moderne est lasse. Ce qu’elle blâme, soyez-en persuadés, c’est une éducation qui ne répond plus, classique ou moderne, ni à ce qu’elle était autrefois quand elle préparait aux études supérieures, ni à ce qu’elle devrait être pour préparer à la vie moderne. Elle se rend compte que le vrai mal dont elle souffre, c’est l’encombrement dont ses rivaux ont profité pour opérer à leur profit une sélection qui n’est fondée ni sur le mérite, ni sur la valeur morale, mais sur la fortune, et sur les apparences aristocratiques. Et qu’on ne se méprenne pas sur les intentions de l’Université ni sur les nôtres ; qu’on ne vienne pas dire que nous voulons constituer une aristocratie : je lisais l’autre jour ce reproche formulé contre certain projet qui se rapproche du mien. Il faudrait désespérer de la démocratie si, accessible à ce point à l’envie, elle voulait interdire à des enfants du peuple ou de la classe moyenne la moins fortunée de se présenter à douze ans, au sortir de leurs écoles ou de l’enseignement secondaire, au concours qui leur donnerait l’accès de ces établissements préparatoires à l’enseignement supérieur. Il ne faut pas lui laisser oublier l’article essentiel qui est la justification de cette réforme décisive. « Tous les citoyens sont admissibles aux places et aux emplois sans autre distinction que le talent et la vertu. »