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REVUE INTERNATIONALE DE L’ENSEIGNEMENT

d’un amour paternel (mot à mot considérer comme fils — le peuple), tseu devient un verbe transitif. De là découlent les fameuses règles de position si importantes pour l’interprétation des textes ; loin de déterminer la nature grammaticale des mots, elles n’entrent en jeu que comme conséquence de cette nature et elles n’ont peut-être pas, par suite, la valeur absolue qu’on leur a parfois prêtée[1].

Les Chinois n’ont pas ignoré la différence de rôle de leurs mots pleins, puisqu’ils ont reconnu que ceux-ci peuvent être, suivant le cas, des seu tseu, mots morts, ou des hoo tseu, mots vifs, pour traduire par analogie, des noms ou des verbes. Ainsi koo, excéder, passer, est un verbe, un mot vif dans koo ho, traverser le fleuve, dans koo heou (passer, après) quand la chose est passée, après coup, — dans koo khieou (excéder demander) demander trop ; mais c’est un mot mort dans yeou koo (pardonner, excéder) pardonner les fautes ; le même mot apparaît comme particule, comme mot vide dans la langue parlée : kien koo (voir, passer) avoir vu. Mais les Chinois ne paraissent pas avoir usé de cette distinction des mots vifs et des mots morts pour faire la théorie grammaticale de leur langue ; ce qu’ils n’ont pas fait, c’est aux sinologues de le faire ; l’œuvre a déjà été tentée et, si la Chinesische Grammatik de M. von der Gabelentz[2] pèche par un peu de confusion, elle marque cependant une grande pénétration dans l’analyse de la phrase chinoise. Nous proposant le même but, nous ne nous contenterons pas non plus de l’étude des hiu tseu et, pour compléter le tableau de la langue chinoise, nous y joindrons celle des chi tseu sous leur double forme. En nous appuyant sur cette distinction chinoise, qui est vraiment conforme aux faits grammaticaux, nous mettrons résolument de côté tous nos concepts européens ; ce qui correspond à nos verbes et à nos adjectifs, à nos prépositions, à nos conjonctions, à nos adverbes, va se montrer dans une étrange confusion, avec des liaisons inattendues ; pour celui qui est habitué aux langues aryennes ou sémitiques, il semblera que le terrain manque sous le pied. Mais, depuis 3 000 ans que les Chinois s’entendent entre eux avec ce langage qui sert aujourd’hui à 300 millions d’hommes, il faut bien que tout n’y soit pas livré au caprice individuel, qu’il s’y trouve quelques lois générales : ce sont ces lois que nous rechercherons. Nous éprouverons quelque difficulté à les formuler, les termes grammaticaux usuels n’y étant pas adéquats : le petit nombre et la généralité des principes, la multiplicité des cas qui se rangent sous chacun d’eux, seront une autre

  1. Voir l’un des exemples donnés pour le mot yi : à cause de ceci ; si la règle de position était absolue, il faudrait yi tsheu.
  2. 1881 (Bibl. sin.. 1837).