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maire classique et cherchant à démêler les vrais rapports des mots dans la phrase. C’est surtout sur les hiu tseu qu’a porté l’effort d’analyse, c’est-à-dire sur ces caractères qui, presque entièrement vidés de leur sens premier, relient les mots principaux de la phrase, les mots pleins, chi tseu, tiennent lieu de marques de cas et de temps, de prépositions et de conjonctions. En cela, les sinologues se sont conformés à l’usage des Chinois : ceux-ci, et j’entends parler des lettrés les plus accomplis, ne connaissent leur langue que par l’habitude, leur mémoire est remplie de tournures et de phrases qu’ils copient textuellement ou qu’ils imitent, mais ils n’ont jamais eu l’idée d’en tirer une règle ; seule la phonétique, sous l’influence des bonzes hindous et de leurs disciples, et d’autre part les hiu tseu, les particules, ont attiré l’attention de quelques auteurs[1].

Il me faut ici donner quelques exemples pour rendre intelligibles ces questions spéciales à ceux qui ignorent la langue chinoise. Dans la phrase pou yi (ne pas — employer, ne pas employer comme ministre par exemple), le mot yi conserve toute sa valeur, c’est un mot plein ; mais si l’on écrit tsheu yi (ceci — employer) à cause de ceci, cha jen yi thing (tuer — homme — employer bâton) tuer un homme avec un bâton, tshiu yu jen yi oei chan (prendre — à — hommes — employer — faire — bien) prendre modèle sur les hommes pour faire le bien, fen jen yi tshai (partager — hommes — employer — richesses) distribuer des richesses aux hommes, yi signifie successivement à cause de, avec, pour, il n’est plus qu’un signe grammatical, indiquant, si l’on veut, l’instrumental et, dans le dernier cas, l’accusatif. Je prends maintenant le mot ki qui veut dire écouler ; ki yue (écouler — lunaison), c’est le mois écoulé ; mais dans oen oang ki mo (Oen — roi — écouler — disparaître), le roi Oen est mort, ki n’est plus qu’une marque de passé et, dans ki jan (écouler — être ainsi) les choses étant ainsi, d’où puisque, ki tient lieu d’une conjonction ; dans le premier cas, ki est un mot plein, dans les deux autres, c’est un mot vide.

Si les mots pleins ont été négligés, c’est qu’ils présentaient des difficultés spéciales. Dans une particule qui réapparaît souvent comme mot de liaison, l’esprit s’accoutume vite à oublier le sens propre du mot, à ne tenir compte que du rapport abstrait et il est tout prêt à n’y plus voir qu’un agent grammatical ; l’habitude de la langue fait ici la moitié du travail. Mais le mot plein reste bien plus

  1. On cite un traitement grammatical, Yen siu tshao thang pi ki écrit par Pi Hoa tchen et trouvé par le Dr. Edkins en 1852 ; M. von Rosthorn au Congrès de Genève a parlé d’un autre traité qui paraît être grammatical d’après le bref compte-rendu de la séance. Les ouvrages de ce genre, s’il en existe d’autres, sont très peu nombreux et sont ignorés des Chinois.