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NÉCROLOGIE

Frédéric Lichtenberger[1]

F. Lichtenberger était né d’une modeste et vieille famille à Strasbourg le 21 mars 1332. Après de longues et belles études poursuivies dans sa ville natale, en Allemagne et à Paris, il était nommé, en 1864, professeur du séminaire de la Confession d’Augsbourg et de la Faculté de théologie et s’installait avec sa jeune famille dans une ces vieilles maisons canoniales qui entouraient alors la place Saint-Thomas. Il avait devant lui, semblait-il, l’existence la plus assurée et la plus tranquille, une vie de savant toute vouée à l’étude, à la méditation et aux devoirs réguliers du haut enseignement universitaire. Six ans plus tard tout ce coin de Strasbourg était désert : la ville était assiégée par l’armée de Werder et les obus tombaient sur le toit de la pacifique maison. Lichtenberger fit simplement son devoir dans les ambulances et dans la garde du quartier formée pour veiller aux incendies. Les grandes épreuves allaient commencer pour lui et pour les siens, I n’eut ni hésitation, ni faiblesse. Il avait trois fils et deux filles ; il aimait passionnément la France ; il était scandalisé de la platitude morale du parti piétiste allemand. La voix du devoir était claire il fallait sacrifier la vieille douce maison, l’avenir de paix, d’honneur et d’étude qu’il avait rêvé, s’exiler de la petite patrie pour rester fidèle à la grande, se déraciner de la terre natale pour aller au devant de l’inconnu. Le sacrifice fut accompli sans ostentation dès [a première heure, comme la chose la plus naturelle, une chose qu’on ne discute pas. Plus la situation de la France paraissait désespérée, plus, en bon fils, il se croyait obligé d’aller à elle. En attendant le départ et l’option qui eurent lieu en 1872, il donnait à ses étudiants ses dernières leçons et soutenait le courage de ses concitoyens par sa parole et par son exemple. L’administration allemande lui offrit une chaire dans la nouvelle Université, avec une augmentation de traitement ; il répondit à ces offres en montant une dernière fois dans la chaire de l’église Saint-Nicolas pour y prêcher son fameux sermon de l’ « Alsace en deuil », Ceux qui l’entendirent n’oublieront jamais les émotions qu’ils en reçurent ni les larmes qui furent versées. Ceux qui n’avaient pu l’entendre voulurent le lire. Il s’en écoula dix éditions en quelques mois.

Bien faible était son espoir, en arrivant à Paris, encore tout plein des ruines de la Commune, d’y retrouver un jour la chaire qu’il avait quittée. Mais sa foi désintéressée était patiente. Enfin, en 1877, après une visite à Gambetta, dont le généreux patriotisme avait alors pour règle de ne laisser périr aucune des épaves des provinces perdues, un décret relevait à Paris l’ancienne Faculté

  1. Voir l’article de M. Philippe Berger, dans les Débats :
    « Son enterrement, qu’il avait voulu simple et sans aucun apparat, conformant sa [illisible] aux principes de toute sa vie, n’en a été que plus touchant par le concours de tous ceux qui étaient venus lui apporter le témoignage de leur affection et de leur reconnaissance et quand, sur la place du Château que traversait le convoi pour se rendre au cimetière où il repose à la place qu’il avait choisie pour son fils, au pied des grands ombrages des bois des Gonards, un bataillon en exercice s’arrêta et porta les armes, on eut comme la vision de la patrie, lui rendant les honneurs qu’il avait si bien mérités en s’associant en silence au deuil qu’il emportait dans la tombe. »