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REVUE INTERNATIONALE DE L’ENSEIGNEMENT

tion du réel comporte une part, d’ailleurs variable, d’histoire, et une part de science. Qu’il s’agisse de phénomènes chimiques, géologiques, ou sociaux, il faut pour qu’ils soient compris, et non pas seulement constatés, que soient énoncées d’une part, les circonstances particulières, et d’autre part, les lois générales de leur production : c’est du choc du fait avec la loi que jaillit la lumière.

L’histoire proprement dite, pour avoir à enregistrer des données plus nombreuses et plus complexes que toutes les autres sciences, n’en est pas moins soumise aux mêmes conditions logiques. Elle aussi, pour relier les faits qu’elle constate, a besoin de supposer des lois. On nous dit : « toute l’histoire des événements est un enchaînement évident et incontesté d’accidents, dont chacun est cause déterminante d’un autre. Le coup de lance de Montgomery est cause de la mort de Henri II, et cette mort est cause de l’avènement des Guises au pouvoir, qui est cause du soulèvement du parti protestant ». Mais comment puis-je affirmer qu’un fait est cause d’un autre si je ne soupçonne la manière dont il l’a engendré, c’est-à-dire, si je ne conçois, plus ou moins vaguement, les rapports généraux qui rendent son action intelligible ? Le coup de lance de Montgomery rend raison de la mort de Henri Il, à qui connaît les lois suivant lesquelles la lésion profonde d’un organe essentiel entraîne l’arrêt de toutes les fonctions vitales ; de même, pour que l’avènement des Guises m’explique le soulèvement des protestants, il faut que je conçoive les lois de l’association des idées et des sentiments, suivant lesquelles la haine ou la crainte des Guises devait conduire les protestants jusqu’à l’action guerrière. La mélodie des faits qui se suivent comme des notes isolées, manquerait de sens et d’unité, n’était l’accompagnement continu et profond des idées générales.

Et, à vrai dire, si l’historien formule rarement les idées dont il use, c’est qu’elles sont pour la plupart très simples et, sinon très claires, du moins très familières tant aux lecteurs qu’à l’auteur. Lorsqu’un historien, pour expliquer la conduite de Napoléon, esquisse un portrait du grand aventurier, et met en relief, en même temps que son ambition, son esprit à la fois prévoyant et impulsif, il n’a pas besoin d’interrompre à chaque instant la description pour nous rappeler, en maximes générales, les effets naturels de l’impulsivité, de la prévoyance, de l’ambition. Ce sont de ces notions qu’on comprend à demi mot, parce qu’elles sont du ressort de cette psychologie individuelle dont chacun d’entre nous possède les éléments : elles n’en sont pas moins comme les muscles et les nerfs des explications historiques.

Mais, est-ce seulement de cette psychologie individuelle que l’histoire a besoin ? Lorsque M. Hanotaux, résumant à grands traits notre histoire nationale, y discerne l’action de trois principes, le fédératif, l’unitaire et le libéral, et explique leur coexistence par le mélange des races gauloises, latines et germaines, que suppose une pareille explication ? L’admission préalable de certaines thèses d’ethnologie, suivant lesquelles les cerveaux gaulois, latins ou germains seraient prédestinés, par leur constitution même, aux idées fédéralistes, unitaires ou libérales. Et ces thèses, à leur tour, supposent la thèse plus générale de l’anthropologie, suivant laquelle la structure anatomique des hommes, leur brachycéphalie ou leur dolicocéphalie détermine leurs idées. Toutes les fois qu’un historien, à l’exemple des Thierry et des H. Martin, explique un fait, événement ou