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L’HISTOIRE EXPLICATIVE ET LA SOCIOLOGIE

lement la solution. La clef d’un fait historique, c’est un autre fait historique. En un mot, si nous confrontons les raisons de l’historien avec les raisons du physicien, du chimiste, du géologue, il semble que nous nous trouvions en présence de deux types d’explications irréductibles : une explication par le général, abstraite, rattachant le fait à une loi — une explication par le particulier, concrète, rattachant le fait à un autre fait. Où est l’explication véritable ?

Mais, d’abord, cette opposition est-elle bien fondée ? Considérons de plus près les démarches des sciences de la nature, et nous constaterons que, pour expliquer le réel, elles ne le déduisent nullement de lois générales une fois posées. Chacune d’elles accepte des « données », grâce auxquelles elle constate, non pas seulement l’existence de la série de phénomènes dont elle veut étudier les lois, mais leur quantité, leur situation dans l’espace, leur apparition dans le temps, bien plus, les modifications qu’ils peuvent supporter de la part de séries différentes et concourantes. En ce sens, l’astronomie elle-même enregistre des hasards. Les planètes de notre système solaire décrivent une ellipse : mais croit-on que cela dérive directement des lois de l’attraction ? Encore fallait-il que les distances et les masses de ces astres fussent ce qu’elles sont, en fait, sans que nous puissions dire pourquoi. De même, la connaissance des lois des combinaisons chimiques ne nous apprend pas pourquoi il y a tel nombre de corps simples et non tel autre, ni pourquoi parmi tant de corps composés possibles, les uns sont réalisés et non les autres. De même encore, des lois de la chaleur et de la pesanteur, nous ne pourrions conclure aux particularités, bien plus à l’existence même de l’atmosphère, du feu central, de la croûte terrestre. Ce sont là des faits, qui se laisseront peut-être rattacher à d’autres faits, tels que l’existence d’une nébuleuse, mais qui ne se laissent pas déduire des propriétés générales de la matière. En ce sens, Renan avait raison : toutes les sciences sont des histoires ; toute explication scientifique du réel suppose des données historiques.

La force explicative appartiendrait-elle donc, tant dans l’histoire du monde que dans l’histoire des hommes, au fait, et non à la loi ? Un homme est mort subitement parce que, passant dans une certaine rue, il a reçu une tuile sur la tête. Je dis que cette coïncidence même n’est véritablement explicative que pour qui connaît les lois générales suivant lesquelles elle a dû produire son effet. Ce sont les lois de la barologie qui seules expliquent la force avec laquelle la tuile devait choquer le crâne ;  : ce sont les lois de la physiologie qui seules expliquent la rapidité avec laquelle un pareil choc sur le crâne devait entraîner mort d’homme. Il en est de même de tous les accidents qui déterminent, nous dit-on, l’évolution des astres et celle des sociétés humaines. Ou bien la relation de ces accidents est une pure narration, qui nous apprend que tel fait a précédé tel autre, mais sans nous expliquer celui-ci par celui-là. Ou bien cette relation cache une explication véritable ; c’est qu’alors elle nous fait savoir, on nous laisse deviner comment, c’est-à-dire, suivant quelles lois générales, le premier fait a engendré le second. La chute d’une pierre n’explique une avalanche, le contact d’une étincelle n’explique une explosion que pour qui connaît les lois de la pesanteur ou celles des combinaisons chimiques. La connaissance des faits ne supplée pas à la connaissance des lois. En d’autres termes, entre les deux types d’explications opposés, l’historique et le scientifique, nous n’avions pas à choisir. Toute explica-