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ÉTUDIANTS EN DROIT ET FACULTÉS DES LETTRES

Mais des postes sont occupés ; ils le sont par des hommes jeunes, dont la succession ne sera pas ouverte de si tôt, et l’absence de débouchés amine l’absence des candidats. Les Facultés des lettres estiment, à juste titre, que les cours publics, dont la grande utilité ne saurait être méconnue, ne peuvent cependant pas être leur seule fonction ; elles ont l’ambition, bien légitime, de posséder des élèves véritables, et elles ont pensé pouvoir « s’enrichir d’un partage d’étudiants »[1] avec les Facultés de droit.

Cette préoccupation des Facultés des lettres n’est pas seulement naturelle ; il était de leur devoir de la formuler hautement. La loi du 10 juillet 1896, en ressuscitant les Universités françaises, leur a confié le soin de leurs destinées, et leur existence ne se conçoit pas sans un personnel assuré d’élèves. Or si les Facultés de droit et de médecine ont une clientèle normale, les Facultés des sciences et des lettres sont placées dans une situation beaucoup moins favorable, par suite de l’existence des Écoles spéciales, qui drainent, en quelque sorte, ce que j’ose à peine nommer le personnel enseignable de ces deux ordres de Facultés. Elles cherchent des remèdes et font bien d’en chercher[2]. Les Facultés de droit ont double motif de s’intéresser à cette recherche : motif d’affectueuse sympathie pour les Facultés sœurs et motif de solidarité d’intérêts.

Mais si nous sommes tout acquis aux intérêts des Facultés des lettres, la considération de cet intérêt ne peut être que secondaire dans l’examen du projet qui nous est soumis. Qu’il soit de nature à procurer des élèves aux Facultés des lettres, ce nous serait une raison de plus d’y donner un avis favorable si nous avions d’autres raisons. Mais nous devons faire abstraction de toute arrière-pensée en ce sens et nous demander seulement si le projet est de nature à aider au développement des études dont nous avons la charge.

III

Aussi bien l’auteur de la Note a soin de constater que le projet dont il s’agit n’a pas été imaginé dans le seul intérêt des Facultés des lettres. L’idée de faire accomplir aux futurs étudiants en droit un stage d’une année dans les Facultés des lettres a été inspirée par les plaintes réitérées des Facultés de droit sur la décadence des études secondaires.

Cette décadence est incontestable. Les étudiants en droit, tels qu’ils nous arrivent après avoir doublé le cap redouté du baccalauréat, sont trop souvent hors d’état d’entreprendre les études nouvelles vers lesquelles ils se tournent. Pour apprendre à manier la langue juridique il faudrait qu’ils eussent l’habitude d’écrire correctement le français, et nous avons maintes fois constaté dans les compositions une ignorance du français qui ne consiste pas seulement dans l’inélégance du style ; l’orthographe même est sujette à caution. L’étude du droit romain est rendue impossible par l’ignorance de l’histoire romaine et du latin ; les erreurs chronologiques les plus grossières sont commises aux examens, et la lecture des textes juridiques dans la langue originale n’est plus possible. L’histoire du droit français est inaccessible à des élèves qui ne possèdent pas les éléments de notre histoire nationale. Le droit constitutionnel, le droit in-

  1. Note citée, p. 7.
  2. Voy. sur ce point les idées émises pur M. le professeur Collet dans son rapport sur la situation de l’Université de Grenoble pendant l’année scolaire 1896-97,